Rimbaud

Materie:Appunti
Categoria:Lingue
Download:186
Data:27.06.2000
Numero di pagine:149
Formato di file:.doc (Microsoft Word)
Download   Anteprima
rimbaud_3.zip (Dimensione: 131.8 Kb)
trucheck.it_rimbaud.doc     450 Kb
readme.txt     59 Bytes


Testo

Poйsies
Les йtrennes des orphelins
I
La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rкve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulиve...
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux;
Et la nouvelle Annйe, а la suite brumeuse,
Laissant traоner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...
II
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils йcoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent а la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain mйtallique et son globe de verre...
- Puis, la chambre est glacйe...on voit traоner а terre,
Epars autour des lits, des vкtements de deuil:
L'вpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose!
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
- Il n'est donc point de mиre а ces petits enfants,
De mиre au frais sourire, aux regards triomphants?
Elle a donc oubliй, le soir, seule et penchйe,
D'exciter une flamme а la cendre arrachйe,
D'amonceler sur eux la laine de l'йdredon
Avant de les quitter en leur criant: pardon.
Elle n'a point prйvu la froideur matinale,
Ni bien fermй le seuil а la bise hivernale?...
- Le rкve maternel, c'est le tiиde tapis,
C'est le nid cotonneux oщ les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches!...
- Et lа, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Oщ les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;
Un nid que doit avoir glacй la bise amиre...
III
Votre coeur l'a compris: - ces enfants sont sans mиre.
Plus de mиre au logis! - et le pиre est bien loin!...
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacйe;
Orphelins de quatre ans, voilа qu'en leur pensйe
S'йveille, par degrйs, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on йgrиne en priant:
- Ah! quel beau matin, que ce matin des йtrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait rкvй des siennes
Dans quelque songe йtrange oщ l'on voyait joujoux,
Bonbons habillйs d'or, йtincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaоtre encore!
On s'йveillait matin, on se levait joyeux,
La lиvre affriandйe, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmкlйs sur la tкte,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fкte,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait!... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers rйpйtйs, et la gaietй permise!
IV
Ah! c'йtait si charmant, ces mots dits tant de fois!
- Mais comme il est changй, le logis d'autrefois:
Un grand feu pйtillait, clair, dans la cheminйe,
Toute la vieille chambre йtait illuminйe;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient а tournoyer...
- L'armoire йtait sans clefs!... sans clefs, la grande armoire!
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs!... c'йtait йtrange!... on rкvait bien des fois
Aux mystиres dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouпr, au fond de la serrure
Bйante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
- La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui:
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:
Partant, point de baisers, point de douces surprises!
Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!
- Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amиre,
Ils murmurent: "Quand donc reviendra notre mиre?"
..............................................................................
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement:
Vous diriez, а les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflйs et leur souffle pйnible!
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!
- Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rкve joyeux,
Un rкve si joyeux, que leur lиvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
- Ils rкvent que, penchйs sur leur petit bras rond,
Doux geste du rйveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'йclairs chante gaiement le feu...
Par la fenкtre on voit lа-bas un beau ciel bleu;
La nature s'йveille et de rayons s'enivre...
La terre, demie-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiиde et vermeil:
Les sombres vкtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire...
On dirait qu'une fйe a passй dans cela!...
- Les enfants, tout joyeux, ont jetй deux cris... Lа,
Prиs du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Lа, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...
Ce sont des mйdaillons argentйs, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravйs en or: "A NOTRE MERE!"
................................................................................
Sensation
Par les soirs bleus d'йtй, j'irai dans les sentiers,
Picotй par les blйs, fouler l'herbe menue:
Rкveur, j'en sentirai la fraоcheur а mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tкte nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'вme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohйmien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
Soleil et chair
I
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brыlant а la terre ravie,
Et, quand on est couchй sur la vallйe, on sent
Que la terre est nubile et dйborde de sang;
Que son immense sein, soulevй par une вme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de sиve et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons!
Et tout croоt, et tout monte!
- O Vйnus, ф Dйesse!
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'йcorce des rameaux
Et dans les nйnuphars baisaient la Nymphe blonde!
Je regrette les temps oщ la sиve du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers!
Oщ le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chиvre;
Oщ, baisant mollement le clair syrinx, sa lиvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour;
Oщ, debout sur la plaine, il entendait autour
Rйpondre а son appel la Nature vivante;
Oщ les arbres muets, berзant l'oiseau qui chante,
La terre berзant l'homme, et tout l'Ocйan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu!
Je regrette les temps de la grande Cybиle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides citйs;
Son double sein versait dans les immensitйs
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suзait, heureux, sa mamelle bйnie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
- Parce qu'il йtait fort, l'Homme йtait chaste et doux.
Misиre! Maintenant il dit: Je sais les choses,
Et va, les yeux fermйs et les oreilles closes.
- Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu! Mais l'Amour, voilа la grande Foi!
Oh! si l'homme puisait encore а ta mamelle,
Grande mиre des dieux et des hommes, Cybиle;
S'il n'avait pas laissй l'immortelle Astartй
Qui jadis, йmergeant dans l'immense clartй
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose oщ vint neiger l'йcume,
Et fit chanter, Dйesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs!
II
Je crois en toi! Je crois en toi! Divine mиre,
Aphrodite marine! - Oh! la route est amиre
Depuis que l'autre Dieu nous attelle а sa croix;
Chair, Marbre, Fleur, Vйnus, c'est en toi que je crois!
- Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des vкtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales!
Oui, mкme aprиs la mort, dans les squelettes pвles
Il veut vivre, insultant la premiиre beautй!
- Et l'Idole oщ tu mis tant de virginitй,
Oщ tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pыt йclairer sa pauvre вme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre а la beautй du jour,
La Femme ne sait plus mкme кtre Courtisane!
- C'est une bonne farce! et le monde ricane
Au nom doux et sacrй de la grande Vйnus!
III
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus!
- Car l'Homme a fini! l'Homme a jouй tous les rфles!
Au grand jour, fatiguй de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!
L'idйal, la pensйe invincible, йternelle,
Tout; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brыlera sous son front!
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rйdemption sainte!
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire!
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frйmissement d'un immense baiser!
- Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser.
.........................................................................
O! L'Homme a relevй sa tкte libre et fiиre!
Et le rayon soudain de la beautй premiиre
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair!
Heureux du bien prйsent, pвle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir! La Pensйe,
La cavale longtemps, si longtemps oppressйe
S'йlance de son front! Elle saura Pourquoi!...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi!
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable?
Si l'on montait toujours, que verrait-on lа-haut?
Un Pasteur mиne-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace?
Et tous ces mondes-lа, que l'йther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une йternelle voix?
- Et l'Homme, peut-il voir? peut-il dire: Je crois?
La voix de la pensйe est-elle plus qu'un rкve?
Si l'homme naоt si tфt, si la vie est si brиve,
D'oщ vient-il? Sombre-t-il dans l'Ocйan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'oщ la Mиre-Nature
Le ressuscitera, vivante crйature,
Pour aimer dans la rose, et croоtre dans les blйs?...
Nous ne pouvons savoir! - Nous sommes accablйs
D'un manteau d'ignorance et d'йtroites chimиres!
Singes d'hommes tombйs de la vulve des mиres,
Notre pвle raison nous cache l'infini!
Nous voulons regarder: - le Doute nous punit!
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite йternelle!...
........................................................................
Le grand ciel est ouvert! les mystиres sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature!
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour!...
- C'est la Rйdemption! c'est l'amour! c'est l'amour!...
.................................................................................
IV
O splendeur de la chair! ф splendeur idйale!
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Oщ, courbant а leurs pieds les Dieux et les Hйros,
Kallipyge la blanche et le petit Eros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds йcloses!
- O grande Ariadnй, qui jette tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir lа-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thйsйe,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisйe,
Tais-toi! Sur son char d'or brodй de noirs raisins,
Lysios, promenй dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthиres rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europй, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son oeil vague;
Elle, laisse traоner sa pвle joue en fleur
Au front de Zeus; ses yeux sont fermйs; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son йcume d'or fleurit sa chevelure.
- Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rкveur
Embrassant la Lйda des blancheurs de son aile;
- Et tandis que Cypris passe, йtrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Etale fiиrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodй de mousse noire,
- Hйraclиs, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, а l'horizon!
Par la lune d'йtй vaguement йclairйe,
Debout, nue, et rкvant dans sa pвleur dorйe
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairiиre sombre, oщ la mousse s'йtoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
- La blanche Sйlйnй laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pвle rayon...
- La Source pleure au loin dans une longue extase...
C'est la nymphe qui rкve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressй.
- Une brise d'amour dans la nuit a passй,
Et, dans les bois sacrйs, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux йcoutent l'homme et le Monde infini!
29 avril 1870.
Ophйlie
I
Sur l'onde calme et noire oщ dorment les йtoiles
La blanche Ophйlia flotte comme un grand lys,
Flotte trиs lentement, couchйes en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophйlie
Passe, fantфme blanc, sur le long fleuve noir,
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance а la brise du soir.
Le vent baise ses seins et dйploie en corolle
Ses grands voiles bercйs mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son йpaule,
Sur son grand front rкveur s'inclinent les roseaux.
Les nйnuphars froissйs soupirent autour d'elle;
Elle йveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'oщ s'йchappe un petit frisson d'aile:
- Un chant mystйrieux tombe des astres d'or.
II
O pвle Ophйlia! belle comme la neige!
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emportй!
C'est que les vents tombant des grand monts de Norvиge
T'avaient parlй tout bas de l'вpre libertй;
C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rкveur portait d'йtranges bruits;
Que ton coeur йcoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits;
C'est que la voix des mers folles, immense rвle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pвle,
Un pauvre fou, s'assit muet а tes genoux!
Ciel! Amour! Libertй! Quel rкve, ф pauvre Folle!
Tu te fondais а lui comme une neige au feu:
Tes grandes visions йtranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible effara ton oeil bleu!
- Et le Poиte dit qu'aux rayons des йtoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchйe en ses longs voiles,
La blanche Ophйlia flotter, comme un grand lys.
15 mai 1870.
Le bal des pendus
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Messire Belzйbuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimaзant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noлl!
Et les pantins choquйs enlacent leurs bras grкles:
Comme des orgues noirs, les poitrines а jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse!
On peut cabrioler, les trйteaux sont si longs!
Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse!
Belzйbuth enragй racle ses violons!
O durs talons, jamais on n'use sa sandale!
Presque tous ont quittй la chemise de peau;
Le reste est peu gкnant et se voit sans scandale.
Sur les crвnes, la neige applique un blanc chapeau:
Le corbeau fait panache а ces tкtes fкlйes,
Un morceau de chair tremble а leur maigre menton:
On dirait, tournoyant dans les sombres mкlйes,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes!
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!
Les loups vont rйpondant des forкts violettes:
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
Holа, secouez-moi ces capitans funиbres
Qui dйfilent, sournois, de leurs gros doigts cassйs
Un chapelet d'amour sur leur pвles vertиbres:
Ce n'est pas un moustier ici, les trйpassйs!
Oh! voilа qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emportй par l'йlan, comme un cheval se cabre:
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Crispe ses petits doigts sur son fйmur qui craque
Avec des cris pareils а des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Le chвtiment de Tartufe
Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous
Sa chaste robe noir, heureux, la main gantйe,
Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux,
Jaune, bavant la foi de sa bouche йdentйe,
Un jour qu'il s'en allait, "Oremus", - un Mйchant
Le prit rudement par son oreille benoоte
Et lui jeta des mots affreux, en arrachant
Sa chaste robe noire autour de sa peau moite!
Chвtiment!... Ses habits йtaient dйboutonnйs,
Et le long chapelet des pйchйs pardonnйs
S'йgrenant dans son coeur, Saint Tartufe йtait pвle!...
Donc, il se confessait, priait, avec un rвle!
L'homme se contenta d'emporter ses rabats...
- Peuh! Tartufe йtait nu du haut jusques en bas!
Le forgeron
Palais des Tuileries, vers le 10 aoыt 92.
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-lа dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait а Louis Seize, un jour
Que le Peuple йtait lа, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traоnant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, йtait pвle
Pвle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait
Car ce maraud de forge aux йnormes йpaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drфles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela!
"Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres:
Le Chanoine au soleil filait des patenфtres
Sur des chapelets clairs grenйs de piиces d'or.
Le Seigneur, а cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient. - Hйbйtйs comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissй dans cette terre noire
Un peu de notre chair... nous avions un pourboire:
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit;
Nos petits y faisaient un gвteau fort bien cuit.
..."Oh! je ne me plains pas. Je te dis mes bкtises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Enormes? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse?
De voir des blйs, des blйs, des йpis pleins de grain,
De penser que cela prйpare bien du pain?...
Oh! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on йtait certain de pouvoir prendre un peu,
Etant homme, а la fin! de ce que donne Dieu!
- Mais voilа, c'est toujours la mкme vieille histoire!
"Mais je sais, maintenant! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne lа, dague sur le manteau,
Et me dise: Mon gars, ensemence ma terre;
Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garзon comme cela, chez moi!
- Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais: Je veux!... - Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorйs, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bвtards tournant comme des paons:
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirons: C'est bien: les pauvres а genoux!
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous!
Et tu te soыleras, tu feras belle fкte.
- Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tкte!
"Non. Ces saletйs-lа datent de nos papas!
Oh! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussiиre.
Cette bкte suait du sang а chaque pierre
Et c'йtait dйgoыtant, la Bastille debout
Avec ses murs lйpreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermйs dans leur ombre!
- Citoyen! citoyen! c'йtait le passй sombre
Qui croulait, qui rвlait, quand nous primes la tour!
Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour.
Nous avions embrassй nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et зa nous battait lа...
Nous marchions au soleil, front haut, - comme cela, -
Dans Paris! On venait devant nos vestes sales.
Enfin! Nous nous sentions Hommes! Nous йtions pвles,
Sire, nous йtions soыls de terribles espoirs:
Et quand nous fыmes lа, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chкne,
Les piques а la main; nous n'eыmes pas de haine,
- Nous nous sentions si forts, nous voulions кtre doux!
.............................................................................
"Et depuis ce jour-lа, nous sommes comme fous!
Le tas des ouvriers a montй dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards:
Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'йpaule,
Farouche, а chaque coin balayant quelque drфle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais!
- Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requкtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins! se disent " Qu'ils sont sots!"
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis dйcrets roses et de droguailles,
S'amuser а couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous marchons prиs d'eux,
- Nos doux reprйsentants qui nous trouvent crasseux! -
Pour ne rien redouter, rien, que les baпonnettes...,
C'est trиs bien. Foin de leur tabatiиre а sornettes!
Nous en avons assez, lа, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah! ce sont lа les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous somme fйroces,
Quand nous brisons dйjа les sceptres et les crosses!..."
.................................................................................
Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Oщ fourmille, oщ fourmille, oщ se lиve la foule,
La foule йpouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bвtons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges:
L'Homme, par la fenкtre ouverte, montre tout
Au roi pвle et suant qui chancelle debout,
Malade а regarder cela!
"C'est la Crapule,
Sire. Ca bave aux murs, зa monte, зa pullule:
- Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux!
Je suis un forgeron: ma femme est avec eux,
Folle! Elle croit trouver du pain aux Tuileries!
- On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. - Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garзon ou leur fille:
C'est la crapule. - Un homme йtait а la Bastille,
Un autre йtait forзat: et tous deux, citoyens
Honnкtes. Libйrйs, ils sont comme des chiens:
On les insulte! Alors, ils ont lа quelque chose
Qui leur fait mal, allez! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant brisйs, que, se sentant damnйs,
Ils sont lа, maintenant, hurlant sous votre nez!
Crapule. - Lа-dedans sont des filles, infвmes
Parce que, - vous saviez que c'est faible, les femmes -
Messeigneurs de la cour, - que зa veut toujours bien, -
Vous leur avez crachй sur l'вme, comme rien!
Vos belles, aujourd'hui, sont lа. C'est la crapule.
..........................................................................
"Oh! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brыle
Sous le soleil fйroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-lа sentent crever leur front,
Chapeau bas, mes bourgeois! Oh! ceux-lа, sont les Hommes!
Nous sommes Ouvriers, Sire! Ouvriers! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux oщ l'on voudra savoir,
Oщ l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Oщ, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval!
Oh! splendides lueurs des forges! Plus de mal,
Plus! - Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-кtre terrible:
Nous saurons! - Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons: puis, Frиres, en avant!
Nous faisons quelquefois ce grand rкve йmouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour:
Et l'on travaillerait fiиrement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne:
Et l'on se sentirait trиs heureux; et personne,
Oh! personne, surtout, ne vous ferait ployer!
On aurait un fusil au-dessus du foyer...
...........................................................................
"Oh! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille.
Que te disais-je donc? Je suis de la canaille!
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous! Nous avons des terreurs
Oщ nous nous sentons grands, oh! si grands! Tout а l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure...
Regarde donc le ciel! - C'est trop petit pour nous,
Nous crиverions de chaud, nous serions а genoux!
Regarde donc le ciel! - Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavйs:
- Oh! quand nous serons morts, nous les aurons lavйs!
- Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorйs, sur la France
Poussent leurs rйgiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous? Merde а ces chiens-lа!"
...................................................................................
- Il reprit son marteau sur l'йpaule.
La foule
Prиs de cet homme-lа se sentait l'вme soыle,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Oщ Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suвt, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front!
Morts de Quatre-vingt-douze...
"... Franзais de soixante-dix, bonapartistes, rйpublicains, souvenez-vous de vos pиres en 92, etc."
Paul de CASSAGNAC.
Le Pays.
Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, pвles du baiser fort de la libertй,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pиse
Sur l'вme et sur le front de toute humanitй;
Hommes extasiйs et grands dans la tourmente,
Vous dont les coeurs sautaient d'amour sous les haillons,
O Soldats que la Mort a semйs, noble Amante,
Pour les rйgйnйrer, dans tous les vieux sillons;
Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,
O million de Christs aux yeux sombres et doux;
Nous vous laissions dormir avec la Rйpublique,
Nous, courbйs sous les rois comme sous une trique.
- Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous!

Fait а Mazas, 3 septembre 1870.
A la musique
Place de la Gare, а Charleville.
Sur la place taillйe en mesquines pelouses,
Square oщ tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'йtranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bкtises jalouses.
- L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres:
- Autour, aux premiers rangs, parade le gandin;
Le notaire pend а ses breloques а chiffres.
Des rentiers а lorgnons soulignent tous les couacs:
Les gros bureaux bouffis traоnent leurs grosses dames
Auprиs desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de rйclames;
Sur les bancs verts, des clubs d'йpiciers retraitйs
Qui tisonnent le sable avec leur canne а pomme,
Fort sйrieusement discutent les traitйs,
Puis prisent en argent, et reprennent: "En somme!..."
Epatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois а boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d'oщ le tabac par brins
Dйborde - vous savez, c'est de la contrebande; -
Le long des gazons verts ricanent les voyous;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Trиs naпfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bйbйs pour enjфler les bonnes...
- Moi, je suis, dйbraillй comme un йtudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes:
Elles le savent bien; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrиtes.
Je ne dis pas un mot: je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodйs de mиches folles:
Je suis, sous le corsage et les frкles atours,
Le dos divin aprиs la courbe des йpaules.
J'ai bientфt dйnichй la bottine, le bas...
- Je reconstruis les corps, brыlй de belles fiиvres.
Elles me trouvent drфle et se parlent tout bas...
- Et mes dйsirs brutaux s'accrochent а leurs lиvres...
Vйnus Anadyomиde
Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une tкte
De femme а cheveux bruns fortement pommadйs
D'une vieille baignoire йmerge, lente et bкte,
Avec des dйficits assez mal ravaudйs;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor;
La graisse sous la peau paraоt en feuilles plates;
L'йchine est un peu rouge, et le tout sent un goыt
Horrible йtrangement; on remarque surtout
Des singularitйs qu'il faut voir а la loupe...
Les reins portent deux mots gravйs: Clara Venus;
- Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcиre а l'anus.
27 juillet 1870.
Premiиre soirйe
- Elle йtait fort dйshabillйe
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillйe
Malinement, tout prиs, tout prиs.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
- Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche ou rosier.
- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'йgrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvиrent: "Veux-tu en finir!"
- La premiиre audace permise,
Le rire feignait de punir!
- Pauvrets palpitants sous ma lиvre,
Je baisai doucement ses yeux:
- Elle jeta sa tкte miиvre
En arriиre: "Oh! c'est encor mieux!...
Monsieur, j'ai deux mots а te dire..."
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...
- Elle йtait fort dйshabillйe
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillйe
Malinement, tout prиs, tout prиs.
Les rйparties de Nina
......................................................
LUI - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frйmir des chairs:
Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir,
Rosant а l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou:
Riant а moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh! - qui boirais
Ton goыt de framboise et de fraise,
O chair de fleur!
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur,
Au rose, йglantier qui t'embкte
Aimablement:
Riant surtout, ф folle tкte,
A ton amant!...
.............................................
Dix-sept ans! Tu seras heureuse!
Oh! les grands prйs,
La grande campagne amoureuse!
- Dis, viens plus prиs!...
- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mкlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois!...
Puis, comme une petite morte,
Le coeur pвmй,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermй...
Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier:
L'oiseau filerait son andante:
Au Noisetier...
Je te parlerais dans ta bouche;
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang
Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosйs:
Et te parlant la langue franche...
Tiens!... - que tu sais...
Nos grands bois sentiraient la sиve,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rкve
Vert et vermeil.
.............................................................
Le soir?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flвnant, comme un troupeau qui broute,
Tout а l'entour
Les bons vergers а l'herbe bleue,
Aux pommiers tors!
Comme on les sent toute une lieue
Leurs parfums forts!
Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir;
Et зa sentira le laitage
Dans l'air du soir;
Ca sentira l'йtable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumiиre;
Et, tout lа-bas,
Une vache fientera, fiиre,
A chaque pas...
- Les lunettes de la grand-mиre
Et son nez long
Dans son missel; le pot de biиre
Cerclй de plomb,
Moussant entre les larges pipes
Qui, crвnement,
Fument: les effroyables lippes
Qui, tout fumant,
Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus:
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts.
Les fesses luisantes et grasses
D'un gros enfant
Qui fourre, а genoux, dans les tasses,
Son museau blanc
Frфlй par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlиche la face ronde
Du cher petit...
Noire, rogue au bord de sa chaise,
Affreux profil,
Une vieille devant la braise
Qui fait du fil;
Que de choses verrons-nous, chиre,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris!...
- Puis, petite et toute nichйe,
Dans les lilas
Noirs et frais: la vitre cachйe,
Qui rit lа-bas...
Tu viendras, tu viendras, je t'aime!
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et mкme...
ELLE - Et mon bureau?
15 aoыt 1870.
Les effarйs
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits, - misиre! -
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond...
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pвte grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils йcoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand pendant que minuit sonne,
Faзonnй, pйtillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumйes,
Chantent les croыtes parfumйes,
Et les grillons;
Quand ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur вme si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits plein de givre,
- Qu'ils sont lа, tous,
Collant leur petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses
Entre les trous,
Mais bien bas, - comme une priиre...
Repliйs vers cette lumiиre
Du ciel rouvert,
- Si fort, qu'ils crиvent leur culotte,
- Et que leur lange blanc tremblote
Au vent d'hiver...
20 septembre 1870.
Roman
I
On n'est pas sйrieux, quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafйs tapageurs aux lustres йclatants!
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupiиre;
Le vent chargй de bruits, - la ville n'est pas loin, -
A des parfums de vigne et des parfums de biиre...
II
- Voilа qu'on aperзoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadrй d'une petite branche,
Piquй d'une mauvaise йtoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Nuit de juin! Dix-sept ans! - On se laisse griser.
La sиve est du champagne et vous monte а la tкte...
On divague; on se sent aux lиvres un baiser
Qui palpite lа, comme une petite bкte...
III
Le coeur fou Robinsonne а travers les romans,
- Lorsque, dans la clartй d'un pвle rйverbиre,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son pиre...
Et, comme elle vous trouve immensйment naпf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
- Sur vos lиvres alors meurent les cavatines...
IV
Vous кtes amoureux. Louй jusqu'au mois d'aoыt.
Vous кtes amoureux. - Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous кtes mauvais goыt.
- Puis l'adorйe, un soir, a daignй vous йcrire...!
- Ce soir-lа,... - vous rentrez aux cafйs йclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sйrieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
29 septembre 1870.
Le mal
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu;
Qu'йcarlates ou verts, prиs du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu;
Tandis qu'une folie йpouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant;
- Pauvres morts! dans l'йtй, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature! ф toi qui fis ces hommes saintement!...
- Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassйes
Des autels, а l'encens, aux grands calices d'or;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,
Et se rйveille, quand des mиres, ramassйes
Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou liй dans leur mouchoir!
Rages des Cйsars
L'Homme pвle, le long des pelouses fleuries,
Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents:
L'Homme pвle repense aux fleurs des Tuileries
- Et parfois son oeil terne a des regards ardents...
Car l'Empereur est soыl de ses vingt ans d'orgie!
Il s'йtait dit: "Je vais souffler la Libertй
Bien dйlicatement, ainsi qu'une bougie!"
La libertй revit! Il se sent йreintй!
Il est pris. - Oh! quel nom sur ses lиvres muettes
Tressaille? Quel regret implacable le mord?
On ne le saura pas. L'Empereur a l'oeil mort.
Il repense peut-кtre au Compиre en lunettes...
- Et regarde filer de son cigare en feu,
Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu.
Rкvй pour l'hiver
A *** Elle,
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruositйs hargneuses, populace
De dйmons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue йgratignйe...
Un petit baiser, comme une folle araignйe,
Te courra par le cou...
Et tu me diras: "Cherche!" en inclinant la tкte,
- Et nous prendrons du temps а trouver cette bкte
- Qui voyage beaucoup...
En wagon, le 7 octobre 1870.
Le dormeur du val
C'est un trou de verdure oщ chante une riviиre
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; oщ le soleil, de la montagne fiиre,
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tкte nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est йtendu dans l'herbe, sous la nue,
Pвle dans son lit vert ou la lumiиre pleut.
Les pieds dans les glaпeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au cфtй droit.
Octobre 1870.
Au cabaret vert, cinq heures du soir
Depuis huit jours, j'avais dйchirй mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais а Charleroi.
- Au Cabaret-Vert: je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fыt а moitiй froid.
Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte: je contemplai les sujets trиs naпfs
De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tйtons йnormes, aux yeux vifs,
- Celle-lа, ce n'est pas un baiser qui l'йpeure! -
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiиde, dans un plat coloriй,
Du jambon rose et blanc parfumй d'une gousse
D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriйrй.
Octobre 1870.
La maline
Dans la salle а manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, а mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'йpatais dans mon immense chaise.
En mangeant, j'йcoutais l'horloge, - heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffйe,
- Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitiй dйfait, malinement coiffйe
Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pкche rose et blanc,
En faisant, de sa lиvre enfantine, une moue,
Elle arrangeait les plats, prиs de moi, pour m'aiser;
- Puis, comme зa, - bien sыr, pour avoir un baiser, -
Tout bas: "Sens donc, j'ai pris une froid sur la joue..."
Charleroi, octobre 1870.
L'йclatante victoire de Sarrebrьck
REMPORTEE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR!
Gravure belge brillamment colorйe, se vend а Charleroi, 35 centimes.
Au milieu, l'Empereur, dans une apothйose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant; trиs heureux, - car il voit tout en rose,
Fйroce comme Zeus et doux comme un papa;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Prиs des tambours dorйs et des rouges canons
Se lиvent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tournй vers le Chef, s'йtourdit de grands noms!
A droite, Dumanet, appuyй sur la crosse
De son chassepot, sent frйmir sa nuque en brosse,
Et: "Vive l'Empereur!!!" - Son voisin reste coi...
Un schako surgit, comme un soleil noir... - Au centre,
Boquillon rouge et bleu, trиs naпf, sur son ventre
Se dresse, et, - prйsentant ses derriиres -: " De quoi?..."
Octobre 1870.
Le buffet
C'est un large buffet sculptй; le chкne sombre,
Trиs vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flйtries,
De fichus de grand-mиre oщ sont peints des griffons;
- C'est lа qu'on trouverait les mйdaillons, les mиches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sиches
Dont le parfum se mкle а des parfums de fruits.
- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
Octobre 1870.
Ma bohиme
(Fantaisie)
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevйes;
Mon paletot aussi devenait idйal:
J'allais sous le ciel, Muse! et j'йtais ton fйal;
Oh! lа lа! que d'amours splendides j'ai rкvйes!
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rкveur, j'йgrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge йtait а la Grande-Ourse.
- Mes йtoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les йcoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre oщ je sentais des gouttes
De rosйe а mon front, comme un vin de vigueur;
Oщ, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les йlastiques
De mes souliers blessйs, un pied prиs de mon coeur!
Les corbeaux
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus...
Sur la nature dйfleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux dйlicieux.
Armйe йtrange aux cris sйvиres,
Les vents froids attaquent vos nids!
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossйs et sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous!
Par milliers, sur les champs de France,
Oщ dorment des morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,
Pour que chaque passant repense!
Sois donc le crieur du devoir,
O notre funиbre oiseau noir!
Mais, saints du ciel, en haut du chкne,
Mвt perdu dans le soir charmй,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaоne,
Dans l'herbe d'oщ l'on ne peut fuir,
La dйfaite sans avenir.
Les assis
Noirs de loupes, grкlйs, les yeux cerclйs de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispйs а leurs fйmurs,
Le sinciput plaquй de hargnositйs vagues
Comme les floraisons lйpreuses des vieux murs;
Ils ont greffй dans des amours йpileptiques
Leurs fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs!
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs siиges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau
Ou, les yeux а la vitre oщ se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
Et les Siиges leur ont des bontйs: culottйe
De brun, la paille cиde aux angles de leurs reins;
L'вme des vieux soleils s'allume, emmaillotйe
Dans ces tresses d'йpis oщ fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siиge aux rumeurs de tambour,
S'йcoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
- Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage...
Ils surgissent, grondant comme des chats giflйs,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ф rage!
Tout leur pantalon bouffe а leurs reins boursouflйs.
Et vous les йcoutez, cognant leurs tкtes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors!
Puis ils ont une main invisible qui tue:
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings noyйs dans des manchettes sales,
Ils songent а ceux-lа qui les ont fait lever
Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chйtifs s'agitent а crever.
Quand l'austиre sommeil a baissй leurs visiиres,
Ils rкvent sur leur bras de siиges fйcondйs,
De vrais petits amours de chaises en lisiиre
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordйs;
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis
Tels qu'au fil des glaпeuls le vol des libellules
- Et leur membre s'agace а des barbes d'йpis.
Tкte de faune
Dans la feuillйe, йcrin vert tachй d'or,
Dans la feuillйe incertaine et fleurie
De fleurs splendides oщ le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,
Un faune effarй montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lиvre йclate en rires sous les branches.
Et quand il a fui - tel qu'un йcureuil -
Son rire tremble encore а chaque feuille
Et l'on voit йpeurй par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.
Les douaniers
Ceux qui disent: Crй Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, dйbris d'Empire, retraitйs,
Sont nuls, trиs nuls, devant les Soldats des Traitйs
Qui tailladent l'azur frontiиre а grands coups d'hache.
Pique aux dents, lame en main, profonds, pas embкtйs,
Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s'en vont, amenant leurs dogues а l'attache,
Exercer nuitamment leur terribles gaоtйs!
Ils signalent aux lois modernes les faunesses.
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
"Pas de зa, les anciens! Dйposez les ballots!"
Quand sa sйrйnitй s'approche des jeunesses,
Le Douanier se tient aux appas contrфlйs!
Enfer aux Dйlinquants que sa paume a frфlйs!
Oraison du soir
Je vis assis, tel qu'un ange aux mains d'un barbier,
Empoignant une chope а fortes cannelures,
L'hypogastre et col cambrйs, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonflй d'impalpables voilures.
Tels que les excrйments chauds d'un vieux colombier,
Mille Rкves en moi font de douces brыlures:
Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jeune et sombre des coulures.
Puis, quand j'ai ravalй mes rкves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour lвcher l'вcre besoin:
Doux comme le Seigneur du cиdre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, trиs haut et trиs loin,
Avec l'assentiment des grands hйliotropes.
Chant de guerre parisien
Le Printemps est йvident, car
Du coeur des Propriйtйs vertes,
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes!
O Mai! quels dйlirants culs-nus!
Sиvres, Meudon, Bagneux, Asniиres,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printaniиres!
Ils ont schako, sabre et tam-tam,
Non la vieille boоte а bougies,
Et des yoles qui n'ont jam, jam...
Fendent le lac aux eaux rougies!
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos taniиres
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particuliиres!
Thiers et Picard sont des Eros,
Des enleveurs d'hйliotropes;
Au pйtrole ils font des Corots:
Voici hannetonner leur tropes...
Ils sont familiers du Grand Truc!...
Et couchй dans les glaпeuls, Favre
Fait sont cillement aqueduc,
Et ses reniflements а poivre!
La grand'ville a le pavй chaud
Malgrй vos douches de pйtrole,
Et dйcidйment, il nous faut
Vous secouer dans votre rфle...
Et les Ruraux qui se prйlassent
Dans de longs accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements!
Mes petites amoureuses
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou:
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs
Blancs de lunes particuliиres
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillиres,
Mes laiderons!
Nous nous aimions а cette йpoque,
Bleu laideron!
On mangeait des oeufs а la coque
Et du mouron!
Un soir, tu me sacras poиte,
Blond laideron:
Descends ici, que je te fouette
En mon giron;
J'ai dйgueulй ta bandoline,
Noir laideron;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah! mes salives dessйchйes,
Roux laideron,
Infectent encor les tranchйes
De ton sein rond!
O mes petites amoureuses,
Que je vous hais!
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tйtons laids!
Piйtinez mes vieilles terrines
De sentiment;
- Hop donc! soyez-moi ballerines
Pour un moment!...
Vos omoplates se dйboоtent,
O mes amours!
Une йtoile а vos reins qui boitent
Tournez vos tours!
Et c'est pourtant pour ces йclanches
Que j'ai rimй!
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimй!
Fade amas d'йtoiles ratйes,
Comblez les coins!
- Vous crиverez en Dieu, bвtйes
D'ignobles soins!
Sous les lunes particuliиres
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillиres,
Mes laiderons!
Accroupissements
Bien tard, quand il se sent l'estomac йcoeurй,
Le frиre Milotus, un oeil а la lucarne
D'oщ le soleil, clair comme un chaudron rйcurй,
Lui darde une migraine et fait son regard darne,
Dйplace dans les draps son ventre de curй.
Il se dйmиne sous sa couverture grise
Et descend, ses genoux а son ventre tremblant,
Effarй comme un vieux qui mangerait sa prise;
Car il lui faut, le poing а l'anse d'un pot blanc,
A ses reins largement retrousser sa chemise!
Or, il s'est accroupi, frileux, les doigts de pied
Repliйs, grelottant au clair soleil qui plaque
Des jaunes de brioche aux vitres de papier;
Et le nez du bonhomme oщ s'allume la laque
Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier.
....................................................................
Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe
Au ventre: il sent glisser ses cuisses dans le feu,
Et ses chausses roussir, et s'йteindre sa pipe;
Quelque chose comme un oiseau remue un peu
A son ventre serein comme un monceau de tripe!
Autour, dort un fouillis de meuble abrutis
Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres;
Des escabeaux, crapauds йtranges, sont blottis
Aux coins noirs: des buffets ont des gueules de chantres
Qu'entr'ouvre un sommeil plein d'horribles appйtits.
L'йcoeurante chaleur gorge la chambre йtroite;
Le cerveau du bonhomme est bourrй de chiffons.
Il йcoute les poils pousser dans sa peau moite,
Et, parfois, en hoquets fort gravement bouffons
S'йchappe, secouant son escabeau qui boite...
...........................................................
Et le soir, aux rayons de lune, qui lui font
Aux contours du cul des bavures de lumiиre,
Une ombre avec dйtails s'accroupit, sur un fond
De neige rose ainsi qu'une rose trйmiиre...
Fantasque, un nez poursuit Vйnus au ciel profond.
Les poиtes de sept ans
A M. P. Demeny.
Et la Mиre, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et trиs fiиre, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'йminences,
L'вme de son enfant livrйe aux rйpugnances.
Tout le jour il suait d'obйissance; trиs
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'вcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermйs voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir: а la lampe
On le voyait, lа-haut, qui rвlait sur la rampe,
Sous un golfe le jour pendant du toit. L'йtй
Surtout, vaincu, stupide, il йtait entкtй
A se renfermer dans la fraоcheur des latrines:
Il pensait lа, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavй des odeurs du jour, le jardinet
Derriиre la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterrй dans la marne
Et pour des visions йcrasant son oeil darne,
Il йcoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitiй! Ces enfants seuls йtaient ses familiers
Qui, chйtifs, fronts nus, oeil dйteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Et si, l'ayant surpris а des pitiйs immondes,
Sa mиre s'effrayait; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet йtonnement.
C'йtait bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment!
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand dйsert, oщ luit la Libertй ravie,
Forкts, soleils, rives, savanes! - Il s'aidait
De journaux illustrйs oщ, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans, - la fille des ouvriers d'а cфtй,
La petite brutale, et qu'elle avait sautй,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il йtait sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de dйcembre,
Oщ, pommadй, sur un guйridon d'acajou,
Il lisait une Bible а la tranche vert-chou;
Des rкves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcфve.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Oщ les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des йdits rire et gronder les foules.
- Il rкvait la prairie amoureuse, oщ des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor!
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, вcrement prise d'humiditй,
Il lisait son roman sans cesse mйditй,
Plein de lourds ciels ocreux et de forкts noyйes,
De fleurs de chair aux bois sidйrals dйployйes,
Vertige, йcroulements, dйroutes et pitiй!
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couchй sur des piиces de toile
Ecrue, et pressentant violemment la voile!
26 mai 1871.
Les pauvres а l'йglise
Parquйs entre des bancs de chкne, aux coins d'йglise
Qu'attiйdit puamment leur souffle, tous leurs yeux
Vers le choeur ruisselant d'orrie et la maоtrise
Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux;
Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire,
Heureux, humiliйs comme des chiens battus,
Les Pauvres au bon Dieu, les patron et le sire,
Tendent leurs oremus risibles et tкtus.
Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses,
Aprиs les six jours noirs oщ Dieu les fait souffrir!
Elles bercent, tordus dans d'йtranges pelisses,
Des espиces d'enfants qui pleurent а mourir.
Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,
Une priиre aux yeux et ne priant jamais,
Regardent parader mauvaisement un groupe
De gamines avec leurs chapeaux dйformйs.
Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote:
C'est bon. Encore une heure; aprиs, les maux sans noms!
- Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote
Une collection de vieilles а fanons:
Ces effarйs y sont et ces йpileptiques
Dont on se dйtournait hier aux carrefours;
Et, fringalant du nez dans des missels antiques,
Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours.
Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,
Rйcitent la complainte infinie а Jйsus
Qui rкve en haut, jauni par le vitrail livide,
Loin des maigres mauvais et des mйchants pansus,
Loin des senteurs de viande et d'йtoffes moisies,
Farce prostrйe et sombre aux gestes repoussants;
- Et l'oraison fleurit d'expressions choisies,
Et les mysticitйs prennent des tons pressants,
Quand, des nefs oщ pйrit le soleil, plis de soie
Banals, sourires verts, les Dames des quartiers
Distinguйs, - ф Jйsus! - les malades du foie
Font baiser leur longs doigts jaunes aux bйnitiers.
1871.
Le coeur volй
Mon triste coeur bave а la poupe,
Mon coeur couvert de caporal:
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste coeur bave а la poupe:
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire gйnйral,
Mon triste coeur bave а la poupe,
Mon coeur couvert de caporal!
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l'ont dйpravй!
Au gouvernail on voit des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques.
O flots abracadabrantesques,
Prenez mon coeur, qu'il soit lavй!
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l'ont dйpravй!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ф coeur volй?
Ce seront des hoquets bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques:
J'aurai des sursauts stomachiques,
Moi, si mon coeur est ravalй:
Quand ils auront tari leurs chiques
Comment agir, ф coeur volй?
Mai 1871.
L'orgie parisienne ou Paris se repeuple
O lвches, la voilа! Dйgorgez dans les gares!
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblиrent les Barbares.
Voilа la Citй sainte, assise а l'occident!
Allez! on prйviendra les reflux d'incendie,
Voilа les quais, voilа les boulevards, voilа
Les maisons sur l'azur lйger qui s'irradie
Et qu'un soir la rougeur des bombes йtoila!
Cachez les palais morts dans des niches de planches!
L'ancien jour effarй rafraоchit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches:
Soyez fous, vous serez drфles, йtant hagards!
Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d'or vous rйclame. Volez!
Mangez! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue. O buveurs dйsolйs,
Buvez! Quand la lumiиre arrive intense et folle,
Fouillant а vos cфtйs les luxes ruisselants,
Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs?
Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes!
Ecoutez l'action des stupides hoquets
Dйchirants! Ecoutez sauter aux nuits ardentes
Les idiots rвleux, vieillards, pantins, laquais!
O coeurs de saletй, bouches йpouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs!
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables...
Vos ventres sont fondus de hontes, ф Vainqueurs!
Ouvrez votre narine aux superbes nausйes!
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous!
Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisйes
Le Poиte vous dit: "O lвches, soyez fous!
Parce que vous fouillez le ventre de la Femme,
Vous craignez d'elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichйe infвme
Sur sa poitrine, en une horrible pression.
Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu'est-ce que зa peut faire а la putain Paris,
Vos вmes et vos corps, vos poisons et vos loques?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris!
Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles,
Les flancs morts, rйclamant votre argent, йperdus,
La rouge courtisane aux seins gros de batailles
Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus!
Quand tes pieds ont dansй si fort dans les colиres,
Paris! quand tu reзus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires
Un peu de la bontй du fauve renouveau,
O citй douloureuse, ф citй quasi morte,
La tкte et les deux seins jetйs verts l'Avenir
Ouvrant sur ta pвleur ses milliards de portes,
Citй que le Passй sombre pourrait bйnir:
Corps remagnйtisй pour les йnormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour rфder les doigts glaзants!
Et ce n'est pas mauvais. Les vers, les vers livides
Ne gкneront pas plus ton souffle de Progrиs
Que les Stryx n'йteignaient l'oeil des Cariatides
Oщ des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrйs."
Quoique ce soit affreux de te revoir couverte
Ainsi; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une citй
Ulcиre plus puant а la Nature verte,
Le poиte te dit: "Splendide est ta Beautй!"
L'orage t'a sacrйe suprкme poйsie;
L'immense remuement des forces te secourt;
Ton oeuvre bout, la mort gronde, Citй choisie!
Amasse les strideurs au coeur du clairon sourd.
Le Poиte prendra le sanglot des Infвmes,
La haine des Forзats, la clameur des Maudits;
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront: Voilа! voilа! bandits!
- Sociйtй, tout est rйtabli: - les orgies
Pleurent leur ancien rвle aux anciens lupanars:
Et les gaz en dйlire, aux murailles rougies,
Flambent sinistrement vers les azurs blafards!
Mai 1871.
Les mains de Jeanne-Marie
Jeanne-Marie a des mains fortes,
Mains sombres que l'йtй tanna,
Mains pвles comme des mains mortes.
- Sont-ce des mains de Juana?
Ont-elles pris les crиmes brunes
Sur les mares des voluptйs?
Ont-elles trempй dans les lunes
Aux йtangs de sйrйnitйs?
Ont-elles bu des cieux barbares,
Calmes sur les genoux charmants?
Ont-elles roulй des cigares
Ou trafiquй des diamants?
Sur les pieds ardents des Madones
Ont-elles fanй des fleurs d'or?
C'est le sang noir des belladones
Qui dans leur paume йclate et dort.
Mains chasseresses des diptиres
Dont bombinent les bleuisons
Aurorales, vers les nectaires?
Mains dйcanteuses de poisons?
Oh! quel Rкve les a saisies
Dans les pandiculations?
Un rкve inouп des Asies,
Des Khenghavars ou des Sions?
- Ces mains n'ont pas vendu d'oranges,
Ni brui sur les pieds des dieux:
Ces mains n'ont pas lavй les langes
Des lourds petits enfants sans yeux.
Ce ne sont pas mains de cousine
Ni d'ouvriиres aux gros fronts
Que brыle, aux bois puant l'usine,
Un soleil ivre de goudrons.
Ce sont des ployeuses d'йchines,
Des mains qui ne font jamais mal,
Plus fatales que des machines,
Plus fortes que tout un cheval!
Remuant comme des fournaises,
Et secouant tous ses frissons,
Leur chair chante des Marseillaises
Et jamais les Eleisons!
Ca serrerait vos cous, ф femmes
Mauvaises, зa broierait vos mains,
Femmes nobles, vos mains infвmes
Pleines de blancs et de carmins.
L'йclat de ces mains amoureuses
Tourne le crвne des brebis!
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis!
Une tache de populace
Les brunit comme un sein d'hier;
Le dos de ces Mains est la place
Qu'en baisa tout Rйvoltй fier!
Elles ont pвli, merveilleuses,
Au grand soleil d'amour chargй,
Sur le bronze des mitrailleuses
A travers Paris insurgй!
Ah! quelquefois, ф Mains sacrйes,
A vos poings, Mains oщ tremblent nos
Lиvres jamais dйsenivrйes,
Crie une chaоne aux clairs anneaux!
Et c'est un soubresaut йtrange
Dans nos кtres, quand, quelquefois,
On veut vous dйhвler, Mains d'ange,
En vous faisant saigner les doigts!
Les soeurs de charitй
Le jeune homme dont l'oeil est brillant, la peau brune,
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eыt, le front cerclй de cuivre, sous la lune
Adorй, dans la Perse un Gйnie inconnu,
Impйtueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers entкtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales,
Qui se retournent sur des lits de diamants;
Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde
Tressaille dans son coeur largement irritй,
Et plein de la blessure йternelle et profonde,
Se prend а dйsirer sa soeur de charitй.
Mais, ф Femme, monceau d'entrailles, pitiй douce,
Tu n'es jamais la Soeur de charitй, jamais,
Ni regard noir, ni ventre oщ dort une ombre rousse,
Ni doigts lйgers, ni seins splendidement formйs.
Aveugle irrйveillйe aux immenses prunelles,
Tout notre embrassement n'est qu'une question:
C'est toi qui pends а nous, porteuse de mamelles,
Nous te berзons, charmante et grave Passion.
Tes haines, tes torpeurs fixes, tes dйfaillances
Et les brutalitйs souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ф Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excиs de sang йpanchй tous les mois.
- Quand la femme, portйe un instant, l'йpouvante,
Amour, appel de vie et chanson d'action,
Viennent la Muse verte et la Justice ardente
Le dйchirer de leur auguste obsession.
Ah! sans cesse altйrй des splendeurs et des calmes,
Dйlaissй des deux Soeurs implacables, geignant
Avec tendresse aprиs la science aux bras almes,
Il porte а la nature en fleur son front saignant.
Mais la noire alchimie et les saintes йtudes
Rйpugnent au blessй, sombre savant d'orgueil;
Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans dйgoыt du cercueil,
Qu'il croie aux vastes fins, Rкves ou Promenades
Immenses, а travers les nuits de Vйritй,
Et t'appelle en son вme et ses membres malades,
O Mort mystйrieuse, ф soeur de charitй.
Juin 1871.
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches йclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles;
I, pourpres, sang crachй, rire des lиvres belles
Dans la colиre ou les ivresses pйnitentes;
U, cycles, vibrement divins des mers virides,
Paix des pвtis semйs d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, suprкme Clairon plein des strideurs йtranges,
Silences traversйs des Mondes et des Anges:
- O l'Omйga, rayon violet de Ses Yeux!
L'йtoile a pleurй...
L'йtoile a pleurй rose au coeur de tes oreilles,
L'infini roulй blanc de ta nuque а tes reins
La mer a perlй rousse а tes mammes vermeilles
Et l'Homme saignй noir а ton flanc souverain.
L'homme juste, fragments
Le Juste restait droit sur ses hanches solides:
Un rayon lui dorait l'йpaule; des sueurs
Me prirent: "Tu veux voir rutiler les bolides?
Et, debout, йcouter bourdonner les flueurs
D'astres lactйs, et les essaims d'astйroпdes?
"Par des farces de nuit ton front est йpiй,
O Juste! Il faut gagner un toit. Dis ta priиre,
La bouche dans ton drap doucement expiй;
Et si quelque йgarй choque ton ostiaire,
Dis: Frиre, va plus loin, je suis estropiй!"
Et le Juste restait debout, dans l'йpouvante
Bleuвtre des gazons aprиs le soleil mort:
"Alors, mettrais-tu tes genouillиres en vente,
O Vieillard? Pиlerin sacrй! Barde d'Armor!
Pleureur des Oliviers! Main que la pitiй gante!
"Barbe de la famille et poing de la citй,
Croyant trиs doux: ф coeur tombй dans les calices,
Majestйs et vertus, amour et cйcitй,
Juste! plus bкte et plus dйgoыtant que les lices!
Je suis celui qui souffre et qui s'est rйvoltй!
"Et зa me fait pleurer sur mon ventre, ф stupide,
Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon!
Je suis maudit, tu sais! Je suis soыl, fou, livide,
Ce que tu veux! Mais va te coucher, voyons donc,
Juste! Je ne veux rien а ton cerveau torpide.
"C'est toi le Juste, enfin, le Juste! C'est assez!
C'est vrai que la tendresse et ta raison sereines
Reniflent dans la nuit comme des cйtacйs!
Que tu te fais proscrire et dйgoises des thrиnes
Sur d'effroyables becs de cane fracassйs!
"Et c'est toi l'oeil de Dieu! le lвche! Quand les plantes
Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,
Tu es lвche! O ton front qui fourmille de lentes!
Socrates et Jйsus, Saints et Justes, dйgoыt!
Respectez le Maudit suprкme aux nuits sanglantes!"
J'avais criй cela sur la terre, et la nuit
Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fiиvre.
Je relevai mon front: le fantфme avait fui,
Emportant l'ironie atroce de ma lиvre...
- Vents nocturnes, venez au Maudit! Parlez-lui!
Cependant que, silencieux sous les pilastres
D'azur, allongeant les comиtes et les noeuds
D'univers, remuement йnorme sans dйsastres,
L'ordre, йternel veilleur, rame aux cieux lumineux
Et de sa drague en feu laisse filer les astres!
Ah! qu'il s'en aille, la gorge cravatйe
De honte, ruminant toujours mon ennui, doux
Comme le sucre sur la denture gвtйe.
- Tel que la chienne aprиs l'assaut des fiers toutous,
Lйchant son flanc d'oщ pend une entraille emportйe.
Qu'il dise charitйs crasseuses et progrиs...
- J'exиcre tous ces yeux de Chinois а bedaines,
Mais qui chante: nana, comme un tas d'enfants prиs
De mourir, idiots doux aux chansons soudaines:
O Justes, nous chierons dans vos ventres de grиs!
Juillet 1871.
Ce qu'on dit au poиte а propos des fleurs
A Monsieur Thйodore de Banville.
I
Ainsi, toujours, vers l'azur noir
Oщ tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystиres d'extases!
A notre йpoque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dйgoыts
Dans tes Proses religieuses!
- Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu'on donne au Mйnestrel
Avec l'oeillet et l'amarante!
Des lys! Des lys! On n'en voit pas!
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pйcheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches!
Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes!
L'amour ne passe а tes octrois
Que les Lilas, - ф balanзoires!
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrйs des Nymphes noires!...
II
O Poиtes, quand vous auriez
Les Roses, les Roses soufflйes,
Rouges sur tiges de lauriers,
Et de mille octaves enflйes!
Quand BANVILLE en ferait neiger,
Sanguinolentes, tournoyantes,
Pochant l'oeil fou de l'йtranger
Aux lectures mal bienveillantes!
De vos forкts et de vos prйs,
O trиs paisibles photographes!
La Flore est diverse а peu prиs
Comme des bouchons de carafes!
Toujours les vйgйtaux Franзais,
Hargneux, phtisiques, ridicules,
Oщ le ventre des chiens bassets
Navigue en paix, aux crйpuscules;
Toujours, aprиs d'affreux dessins
De Lotos bleus ou d'Hйlianthes,
Estampes roses, sujets saints
Pour de jeunes communiantes!
L'Ode Aзoka cadre avec la
Strophe en fenкtre de lorette;
Et de lourds papillons d'йclat
Fientent sur la Pequerette.
Vieilles verdures, vieux galons!
O croquignoles vйgйtales!
Fleurs fantasques des vieux Salons!
- Aux hannetons, pas aux crotales,
Ces poupards vйgйtaux en pleurs
Que Grandville eыt mis aux lisiиres,
Et qu'allaitиrent de couleurs
De mйchants astres а visiиres!
Oui, vos bavures de pipeaux
Font de prйcieuses glucoses!
- Tas d'oeufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, Aзokas, Lilas et Roses!...
III
O blanc Chasseur, qui cours sans bas
A travers le Pвtis panique,
Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas
Connaоtre un peu ta botanique?
Tu ferais succйder, je crains,
Aux Grillons roux les Cantharides,
L'or des Rios au bleu des Rhins, -
Bref, aux Norvиges les Florides:
Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant,
- C'est la vйritй, - de permettre
A l'Eucalyptus йtonnant
Des constrictors d'un hexamиtre:
Lа!... Comme si les Acajous
Ne servaient, mкme en nos Guyanes,
Qu'aux cascades des sapajous,
Au lourd dйlire des lianes!
- En somme, une Fleur, Romarin
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excrйment d'oiseau marin?
Vaut-elle un seul pleur de chandelle?
- Et j'ai dit ce que je voulais!
Toi, mкme assis lа-bas, dans une
Cabane de bambous, - volets
Clos, tentures de perse brune, -
Tu torcherais des floraisons
Dignes d'Oises extravagantes!...
- Poиte! ce sont des raisons
Non moins risibles qu'arrogantes!...
IV
Dis, non les pampas printaniers
Noirs d'йpouvantables rйvoltes,
Mais les tabacs, les cotonniers!
Dis les exotiques rйcoltes!
Dis, front blanc que Phйbus tanna,
De combien de dollars se rente
Pedro Velasquez, Habana;
Incague la mer de Sorrente
Oщ vont les Cygnes par milliers;
Que tes strophes soient des rйclames
Pour l'abatis des mangliers
Fouillйs des Hydres et des lames!
Ton quatrain plonge aux bois sanglants
Et revient proposer aux Hommes
Divers sujets de sucres blancs,
De pectoraires et de gommes!
Sachons par Toi si les blondeurs
Des Pics neigeux, vers les Tropiques,
Sont ou des insectes pondeurs
Ou des lichens microscopiques!
Trouve, ф Chasseur, nous le voulons,
Quelques garances parfumйes
Que la Nature en pantalons
Fasse йclore! - pour nos Armйes!
Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles а des mufles,
D'oщ bavent des pommades d'or
Sur les cheveux sombres des Buffles!
Trouve, aux prйs fous, oщ sur le Bleu
Tremble l'argent des pubescences,
Des calices pleins d'Oeufs de feu
Qui cuisent parmi les essences!
Trouve des Chardons cotonneux
Dont dix вnes aux yeux de braises
Travaillent а filer les noeuds!
Trouve des Fleurs qui soient des chaises!
Oui, trouve au coeur des noirs filons
Des fleurs presque pierres, - fameuses! -
Qui vers leurs durs ovaires blonds
Aient des amygdales gemmeuses!
Sers-nous, ф Farceur, tu le peux,
Sur un plat de vermeil splendide
Des ragoыts de Lys sirupeux
Mordant nos cuillers Alfйnide!
V
Quelqu'un dira le grand Amour,
Voleur des sombres Indulgences:
Mais ni Renan, ni le chat Murr
N'ont vu les Bleus Thyrses immenses!
Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
Par les parfums les hystйries;
Exalte-nous vers les candeurs
Plus candides que les Maries...
Commerзant! colon! mйdium!
Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
Comme un rayon de sodium,
Comme un caoutchouc qui s'йpanche!
De tes noirs Poиmes, - Jongleur!
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s'йvadent d'йtranges fleurs
Et des papillons йlectriques!
Voilа! c'est le Siиcle d'enfer!
Et les poteaux tйlйgraphiques
Vont orner, - lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques!
Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre!
- Et, pour la composition
De poиmes pleins de mystиre
Qu'on doive lire de Trйguier
A Paramaribo, rachиte
Des Tomes de Monsieur Figuier,
- Illustrйs! - chez Monsieur Hachette!
14 juillet 1871.
ALCIDE BAVA.
ARTHUR RIMBAUD
Les premiиres communions
I
Vraiment, c'est bкte, ces йglises des villages
Oщ quinze laids marmots encrassant les piliers
Ecoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers:
Mais le soleil йveille, а travers les feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux irrйguliers.
La pierre sent toujours la terre maternelle,
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui frйmit solennelle,
Portant prиs des blйs lourds, dans les sentiers ocreux,
Ces arbrisseaux brыlйs ou bleuit la prunelle,
Des noeuds de mыriers noirs et de rosiers fuireux.
Tous les cent ans on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillй:
Si des mysticitйs grotesques sont notables
Prиs de la Notre Dame ou du Saint empaillй,
Des mouches sentant bon l'auberge et les йtables
Se gorgent de cire au plancher ensoleillй.
L'enfant se doit surtout а la maison, famille
Des soins naпfs, des bons travaux abrutissants;
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Oщ le Prкtre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Prкtre un toit ombrй d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants.
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes,
Sous le Napolйon ou le Petit Tambour
Quelque enluminure oщ les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et que joindront, au jour de science, deux cartes,
Ces seuls doux souvenirs lui restent du grand jour.
Les filles vont toujours а l'йglise, contentes
De s'entendre appeler garces par les garзons
Qui font du genre aprиs Messe ou vкpres chantantes.
Eux qui sont destinйs au chic des garnisons,
Ils narguent au cafй les maisons importantes,
Blousйs neuf, et gueulant d'effroyables chansons.
Cependant le Curй choisit pour les enfances
Des dessins; dans son clos, les vкpres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Ils se sent, en dйpit des cйlestes dйfenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant;
- La nuit vient, noir pirate aux cieux d'or dйbarquant.
II
Le Prкtre a distinguй parmi les catйchistes,
Congrйgйs des Faubourgs ou des Riches Quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Les parents semblent de doux portiers.
"Au grand Jour, le marquant parmi les Catйchistes,
Dieu fera sur ce front neiger ses bйnitiers."
III
La veille du grand Jour, l'enfant se fait malade.
Mieux qu'а l'йglise haute aux funиbres rumeurs,
D'abord le frisson vient, - le lit n'йtant pas fade -
Un frisson surhumain qui retourne: "Je meurs..."
Et, comme un vol d'amour fait а ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur,
Les Anges, les Jйsus et ses Vierges nitides
Et, calmement, son вme a bu tout son vainqueur.
Adonaп!... - Dans les terminaisons latines,
Des cieux moirйs de vert baignent les Fronts vermeils
Et tachйs du sang pur des cйlestes poitrines
De grands linges neigeux tombent sur les soleils!
- Pour ses virginitйs prйsentes et futures
Elle mort aux fraоcheurs de ta Rйmission,
Mais plus tard que les lys d'eau, plus que les confitures,
Tes pardons sont glacйs, ф Reine de Sion!
IV
Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre.
Les mystiques йlans se cassent quelquefois...
Et vient la pauvretй des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois;
Des curiositйs vaguement impudiques
Epouvantent le rкve aux chastes bleuitйs
Qui s'est surpris autour des cйlestes tuniques,
Du linge dont Jйsus voile ses nuditйs.
Elle veut, elle veut, pourtant, l'вme en dйtresse,
Le front dans l'oreiller creusй par les cris sourds,
Prolonger les йclairs suprкmes de tendresse,
Et bave... - L'ombre emplit les maisons et les cours.
Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraоcheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu...
V
A son rйveil, - minuit, la fenкtre йtait blanche.
Devant le sommeil bleu des rideaux illunйs,
La vision la prit des candeurs du dimanche;
Elle avait rкvй rouge. Elle saigna du nez,
Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit oщ s'exalte et s'abaisse
Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant;
De la nuit, Vierge-Mиre impalpable, qui baigne
Tous les jeunes йmois de ses silences gris,
Elle eut soif de la nuit forte oщ le coeur qui saigne
Ecoule sans tйmoin sa rйvolte sans cris.
Et faisant la victime et la petite йpouse,
Son йtoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour oщ sйchait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.
VI
Elle passa sa nuit sainte dans des latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En deза d'une cour voisine s'йcroulant.
La lucarne faisait un coeur de lueur vive
Dans la cour oщ les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres; les pavйs puant l'eau de lessive
Soufraient l'ombre des murs bondйs de noirs sommeils.
..................................................................................
VII
Qui dira ces langueurs et ces pitiйs immondes,
Et ce qu'il lui viendra de haine, ф sales fous,
Dont le travail divin dйforme encor les mondes,
Quand la lиpre а la fin mangera ce corps doux?
.......................................................................
VIII
Et quand, ayant rentrй tous ses noeuds d'hystйries,
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rкver au blanc million des Maries,
Au matin de la nuit d'amour, avec douleur:
"Sais-tu que je t'ai fait mourir? J'ai pris ta bouche,
Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez;
Et moi, je suis malade: Oh! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvйs!
"J'йtais bien jeune, et Christ a souillй mes haleines,
Il me bonda jusqu'а la gorge de dйgoыts!
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines,
Et je me laissais faire... ah! va, c'est bon pour vous,
"Hommes! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs,
La plus prostituйe et la plus douloureuse,
Et que tous nos йlans vers vous sont des erreurs!
"Car ma Communion premiиre est bien passйe.
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus:
Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassйe
Fourmillent du baiser putride de Jйsus!"
IX
Alors l'вme pourrie et l'вme dйsolйe
Sentiront ruisseler tes malйdictions.
- Ils auront couchй sur ta Haine inviolйe,
Echappйs, pour la mort, des justes passions,
Christ! ф Christ, йternel voleur des йnergies,
Dieu qui pour deux mille ans vouas а ta pвleur,
Clouйs au sol, de honte et de cйphalalgies,
Ou renversйs, les fronts des femmes de douleur.
Juillet 1871.
Les chercheuses de poux
Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des rкves indistincts,
Il vient prиs de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de frкles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisйe
Grande ouverte oщ l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux oщ tombe la rosйe
Promиnent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il йcoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vйgйtaux et rosйs,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lиvre ou dйsirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumйs; et leurs doigts йlectriques et doux
Font crйpiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voilа que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait dйlirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un dйsir de pleurer.
Le bateau ivre
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidй par les haleurs:
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant clouйs nus aux poteaux de couleurs.
J'йtais insoucieux de tous les йquipages,
Porteur de blйs flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissй descendre oщ je voulais.
Dans les clapotements furieux des marйes,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Pйninsules dйmarrйes
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempкte a bйni mes йveils maritimes.
Plus lйger qu'un bouchon j'ai dansй sur les flots
Qu'on appelle rouleurs йternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots!
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pйnйtra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dиs lors, je me suis baignй dans le Poиme
De la Mer, infusй d'astres, et lactescent,
Dйvorant les azurs verts; oщ, flottaison blкme
Et ravie, un noyй pensif parfois descend;
Oщ, teignant tout а coup les bleuitйs, dйlires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amиres de l'amour!
Je sais les cieux crevant en йclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants: je sais le soir,
L'Aube exaltйe ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir!
J'ai vu le soleil bas, tachй d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils а des acteurs de drames trиs antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets!
J'ai rкvй la nuit verte aux neiges йblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sиves inouпes,
Et l'йveil jaune et bleu des phosphores chanteurs!
J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystйriques, la houle а l'assaut des rйcifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Ocйans poussifs!
J'ai heurtй, savez-vous, d'incroyables Florides
Mкlant aux fleurs des yeux de panthиres а peaux
D'hommes! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, а de glauques troupeaux!
J'ai vu fermenter les marais йnormes, nasses
Oщ pourrit dans les joncs tout un Lйviathan!
Des йcroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et des lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!
Echouages hideux au fond des golfes bruns
Oщ les serpents gйants dйvorйs des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums!
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des йcumes de fleurs ont bercй mes dйrades
Et d'ineffables vents m'ont ailй par instants.
Parfois, martyr lassй des pфles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme а genoux...
Presque оle, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'а travers mes liens frкles
Des noyйs descendaient dormir, а reculons!
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jetй par l'ouragan dans l'йther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repкchй la carcasse ivre d'eau;
Libre, fumant, montй de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poиtes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur;
Qui courais, tachй de lunules йlectriques,
Planche folle, escortй des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler а coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs;
Moi qui tremblais, sentant geindre а cinquante lieues
Le rut des Bйhйmots et les Maelstroms йpais,
Fileur йternel des immobilitйs bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets!
J'ai vu des archipels sidйraux! et des оles
Dont les cieux dйlirants sont ouverts au vogueur:
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ф future Vigueur?
Mais, vrai, j'ai trop pleurй! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer:
L'Acre amour m'a gonflй de torpeurs enivrantes.
O que ma quille йclate! O que j'aille а la mer!
Si je dйsire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide oщ vers le crйpuscule embaumй
Un enfant accroupi plein de tristesse, lвche
Un bateau frкle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baignй de vos langueurs, ф lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
Derniers vers
Larme
Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyиre
Entourйe de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d'aprиs-midi tiиde et vert.
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel ouvert.
Que tirais-je а la gourde de colocase?
Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer.
Tel, j'eusse йtй mauvaise enseigne d'auberge.
Puis l'orage changea le ciel, jusqu'au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.
L'eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaзons aux mares...
Or! tel qu'un pкcheur d'or ou de coquillages,
Dire que je n'ai pas eu souci de boire!
Mai 1872.
La riviиre de Cassis
La Riviиre de Cassis roule ignorйe
En des vaux йtranges:
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
Et bonne voix d'anges:
Avec les grands mouvements des sapinaies
Quand plusieurs vents plongent.
Tout roule avec des mystиres rйvoltants
De campagnes d'anciens temps,
De donjons visitйs, de parcs importants:
C'est en ces bords qu'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants:
Mais que salubre est le vent!
Que le piйton regarde а ces claires-voies:
Il ira plus courageux.
Soldats des forкts que le Seigneur envoie,
Chers corbeaux dйlicieux!
Faites fuir d'ici le paysan matois
Qui trinque d'un moignon vieux.
Mai 1872.
Comйdie de la soif
Les parents
Nous sommes tes Grands-Parents,
Les Grands!
Couverts des froides sueurs
De la lune et des verdures.
Nos vins secs avaient du coeur!
Au soleil sans imposture
Que faut-il а l'homme? boire.
MOI - Mourir aux fleuves barbares.
Nous sommes tes Grands-Parents
Des champs.
L'eau est au fond des osiers:
Vois le courant du fossй
Autour du Chвteau mouillй.
Descendons en nos celliers;
Aprиs, le cidre et le lait.
MOI - Aller oщ boivent les vaches.
Nous sommes tes Grands-Parents;
Tiens, prends
Les liqueurs dans nos armoires;
Le Thй, le Cafй, si rares,
Frйmissent dans les bouilloires.
- Vois les images, les fleurs.
Nous rentrons du cimetiиre.
MOI - Ah! tarir toutes les urnes!
L'esprit
Eternelles Ondines,
Divisez l'eau fine.
Vйnus, soeur de l'azur,
Emeus le flot pur.
Juifs errants de Norvиge,
Dites-moi la neige.
Anciens exilйs chers,
Dites-moi la mer.
MOI - Non, plus ces boissons pures,
Ces fleurs d'eau pour verres;
Lйgendes ni figures
Ne me dйsaltиrent;
Chansonnier, ta filleule
C'est ma soif si folle
Hydre intime sans gueules
Qui mine et dйsole.
Les amis
Viens, les Vins vont aux plages,
Et les flots par millions!
Vois le Bitter sauvage
Rouler du haut des monts!
Gagnons, pиlerins sages,
L'Absinthe aux verts piliers...
MOI - Plus ces paysages.
Qu'est l'ivresse, Amis?
J'aime autant, mieux, mкme,
Pourrir dans l'йtang,
Sous l'affreuse crиme,
Prиs des bois flottants.
Le pauvre songe
Peut-кtre un Soir m'attend
Oщ je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content:
Puisque je suis patient!
Si mon mal se rйsigne,
Si j'ai jamais quelque or,
Choisirai-je le Nord
Ou le Pays des Vignes?...
- Ah songer est indigne
Puisque c'est pure perte!
Et si je redeviens
Le voyageur ancien
Jamais l'auberge verte
Ne peut bien m'кtre ouverte.
Conclusion
Les pigeons qui tremblent dans la prairie,
Le gibier, qui court et qui voit dans la nuit,
Les bкtes des eaux, la bкte asservie,
Les derniers papillons!... ont soif aussi.
Mais fondre oщ fond ce nuage sans guide,
- Oh! favorisй de ce qui est frais!
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forкts?
Mai 1872.
Bonne pensйe du matin
A quatre heures du matin, l'йtй,
Le Sommeil d'amour dure encore.
Sous les bosquets l'aube йvapore
L'odeur du soir fкtй.
Mais lа-bas dans l'immense chantier
Vers le soleil des Hespйrides,
En bras de chemise, les charpentiers
Dйjа s'agitent.
Dans leur dйsert de mousse, tranquilles,
Ils prйparent les lambris prйcieux
Oщ la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.
Ah! pour ces Ouvriers charmants
Sujets d'un roi de Babylone,
Vйnus! laisse un peu les Amants,
Dont l'вme est en couronne.
O Reine des Bergers!
Porte aux travailleurs l'eau-de-vie,
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, а midi.
Mai 1872.
Fкtes de la patience
Banniиres de mai
Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallalli.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevкtrer les vignes
Le ciel est joli comme un ange,
L'azur et l'onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.
Qu'on patiente et qu'on s'ennuie
C'est trop simple. Fi de mes peines.
Je veux que l'йtй dramatique
Me lie а son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ф Nature,
- Ah moins seul et moins nul! - je meure.
Au lieu que les Bergers, c'est drфle,
Meurent а peu prиs par le monde.
Je veux bien que les saisons m'usent.
A toi, Nature, je me rends;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s'il te plaоt, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m'illusionne;
C'est rire aux parents, qu'au soleil,
Mais moi je ne veux rire а rien;
Et libre soit cette infortune.
Mai 1872.
Chanson de la plus haute tour
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par dйlicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! Que le temps vienne
Oщ les coeurs s'йprennent.
Je me suis dit: laisse,
Et qu'on ne te voie:
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrкte,
Auguste retraite.
J'ai tant fait patience
Qu'а jamais j'oublie;
Craintes et souffrances
Au cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la Prairie
A l'oubli livrйe,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah! Mille veuvages
De la si pauvre вme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame!
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie?
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par dйlicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! Que le temps vienne
Oщ les coeurs s'йprennent!
Mai 1872.
L'йternitй
Elle est retrouvйe.
Quoi? - L'Eternitй.
C'est la mer allйe
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs йlans
Lа tu te dйgages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s'exhale
Sans qu'on dise: enfin.
Lа pas d'espйrance,
Nul orietur,
Science avec patience,
Le supplice est sыr.
Elle est retrouvйe.
Quoi? - L'Eternitй.
C'est la mer allйe
Avec le soleil.
Mai 1872.
Age d'or
Quelqu'une des voix
Toujours angйlique
- Il s'agit de moi -
Vertement s'explique:
Ces mille questions
Qui se ramifient
N'amиnent, au fond,
Qu'ivresse et folie;
Reconnais ce tour
Si gai, si facile:
Ce n'est qu'onde, flore,
Et c'est ta famille!
Puis elle chante. O
Si gai, si facile,
Et visible а l'oeil nu...
- Je chante avec elle, -
Reconnais ce tour
Si gai, si facile,
Ce n'est qu'onde, flore,
Et c'est ta famille!...etc...
Et puis une Voix
- Est-elle angйlique! -
Il s'agit de moi,
Vertement s'explique;
Et chante а l'instant
En soeur des haleines:
D'un ton Allemand,
Mais ardente et pleine:
Le monde est vicieux;
Si cela t'йtonne!
Vis et laisse au feu
L'obscure infortune.
O! joli chвteau!
Que ta vie est claire!
De quel Age es-tu,
Nature princiиre
De notre grand frиre! etc...
Je chante aussi, moi:
Multiples soeurs! Voix
Pas du tout publiques!
Environnez-moi
De gloire pudique...etc...
Juin 1872.
Jeune mйnage
La chambre est ouverte au ciel bleu-turquin,
Pas de place: des coffrets et des huches!
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Oщ vibrent les gencives des lutins.
Que ce sont bien intrigues de gйnies
Cette dйpense et ces dйsordres vains!
C'est la fйe africaine qui fournit
La mыre, et les rйsilles dans les coins.
Plusieurs entrent, marraines mйcontentes,
En pans de lumiиre dans les buffets,
Puis y restent! le mйnage s'absente
Peu sйrieusement, et rien ne se fait.
Le mariй a le vent qui le floue
Pendant son absence, ici, tout le temps.
Mкme des esprits des eaux, malfaisants
Entrent vaguer aux sphиres de l'alcфve.
La nuit, l'amie oh! la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.
- S'il n'arrive pas un feu follet blкme,
Comme un coup de fusil, aprиs des vкpres.
- O spectres saints et blancs de Bethlйem,
Charmez plutфt le bleu de leur fenкtre!
27 juin 1872.
Bruxelles
Juillet, Boulevard du Rйgent.
Plates-bandes d'amarantes jusqu'а
L'agrйable palais de Jupiter.
- Je sais que c'est Toi qui, dans ces lieux,
Mкles ton Bleu presque de Sahara!
Puis, comme rose et sapin du soleil
Et liane ont ici leur jeux enclos,
Cage de la petite veuve!...
Quelles troupes d'oiseaux, ф iaio, iaio!...
- Calmes maisons, anciennes passions!
Kiosque de la Folle par affection.
Aprиs les fesses des rosiers, balcon
Ombreux et trиs bas de la Juliette.
- La Juliette, зa rappelle l'Henriette,
Charmante station du chemin de fer,
Au coeur d'un mont, comme au fond d'un verger
Oщ mille diables bleus dansent dans l'air!
Banc vert oщ chante au paradis d'orage,
Sur la guitare, la blanche Irlandaise.
Puis, de la salle а manger guyanaise,
Bavardage des enfants et des cages.
Fenкtre du duc qui fais que je pense
Au poison des escargots et du buis
Qui dort ici-bas au soleil.
Et puis
C'est trop beau! trop! Gardons notre silence.
- Boulevard sans mouvement ni commerce,
Muet, tout drame et toute comйdie,
Rйunion des scиnes infinie,
Je te connais et t'admire en silence.
Est-elle almйe?...
Est-elle almйe?... aux premiиres heures bleues
Se dйtruira-t-elle comme les fleurs feues...
Devant la splendide йtendue oщ l'on sente
Souffler la ville йnormйment florissante!
C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est nйcessaire
- Pour la Pкcheuse et la chanson du Corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fкtes de nuit sur la mer pure!
Juillet 1872.
Fкtes de la faim
Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton вne.
Si j'ai du goыt, ce n'est guиres
Que pour la terre et les pierres
Dinn! dinn! dinn! dinn! je pais l'air,
Le roc, les charbons, le fer.
Tournez, les faims! paissez, faims,
Le prй des sons!
L'aimable et vibrant venin
Des liserons;
Les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'йglises,
Les galets, fils des dйluges,
Pains couchйs aux vallйes grises!
Mes faims, c'est les bouts d'air noir;
L'azur sonneur;
- C'est l'estomac qui me tire.
C'est le malheur.
Sur terre ont paru les feuilles:
Je vais aux chairs de fruits blettes,
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.
Ma faim, Anne, Anne!
Fuis sur ton вne.
Aoыt 1872.
Qu'est-ce pour nous...
Qu'est-ce pour nous, mon coeur, que les nappes de sang
Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre; et l'Aquilon encor sur les dйbris;
Et toute vengeance? Rien!... - Mais si, toute encor,
Nous la voulons! Industriels, princes, sйnats:
Pйrissez! puissance, justice, histoire: а bas!
Ca nous est dы. Le sang! le sang! la flamme d'or!
Tout а la guerre de la vengeance, а la terreur,
Mon esprit! Tournons dans la morsure: Ah! passez,
Rйpubliques de ce monde! Des empereurs,
Des rйgiments, des colons, des peuples, assez!
Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
Que nous et ceux que nous nous imaginons frиres?
A nous, romanesques amis: зa va nous plaire.
Jamais nous ne travaillerons, ф flots de feux!
Europe, Asie, Amйrique, disparaissez.
Notre marche vengeresse a tout occupй,
Citйs et campagnes! - Nous serons йcrasйs!
Les volcans sauteront! Et l'Ocйan frappй...
Oh! mes amis! - Mon coeur, c'est sыr, ils sont des frиres:
Noirs inconnus, si nous allions! Allons! allons!
O malheur! je me sens frйmir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus а vous! la terre fond.
Ce n'est rien! j'y suis! j'y suis toujours.
Entends comme brame...
Entends comme brame
prиs des acacias
en avril la rame
viride du pois!
Dans sa vapeur nette,
vers Phoebй! tu vois
s'agiter la tкte
de saints d'autrefois...
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois...
Or ni fйriale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.
Nйanmoins ils restent,
- Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blкmi, justement!
Michel et Christine
Zut alors, si le soleil quitte ces bords!
Fuis, clair dйluge! voici l'ombre des routes
Dans les saules, dans la vieille cour d'honneur,
L'orage d'abord jette ses larges gouttes.
O cent agneaux, de l'idylle soldats blonds,
Des aqueducs, des bruyиres amaigries,
Fuyez! plaine, dйserts, prairie, horizons
Sont а la toilette rouge de l'orage!
Chien noir, brun pasteur dont le manteau s'engouffre,
Fuyez l'heure des йclairs supйrieurs;
Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre,
Tвchez de descendre а des retraits meilleurs.
Mais moi, Seigneur! voici que mon esprit vole,
Aprиs les cieux glacйs de rouge, sous les
Nuages cйlestes qui courent et volent
Sur cent Solognes longues comme un railway.
Voilа mille loups, mille graines sauvages
Qu'emporte, non sans aimer les liserons,
Cette religieuse aprиs-midi d'orage
Sur l'Europe ancienne oщ cent hordes iront!
Aprиs le clair de lune! partout la lande,
Rougissant leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers
Chevauchent lentement leurs pвles coursiers!
Les cailloux sonnent sous cette fiиre bande!
Et verrai-je le bois jaune et le val clair,
L'Epouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, ф Gaule,
Et le blanc Agneau Pascal, а leurs pieds chers,
- Michel et Christine, - et Christ! fin de l'Idylle.
Honte
Tant que la lame n'aura
Pas coupй cette cervelle,
Ce paquet blanc, vert et gras,
A vapeur jamais nouvelle,
(Ah! Lui, devrait couper son
Nez, sa lиvre, ses oreilles,
Son ventre! et faire abandon
De ses jambes! ф merveille!)
Mais, non; vrai, je crois que tant
Que pour sa tкte la lame,
Que les cailloux pour son flanc,
Que pour ses boyaux la flamme,
N'auront pas agi, l'enfant
Gкneur, la si sotte bкte,
Ne doit cesser un instant
De ruser et d'кtre traоtre,
Comme un chat des Monts-Rocheux,
D'empuantir toutes sphиres!
Qu'а sa mort pourtant, ф mon Dieu!
S'йlиve quelque priиre!
Mйmoire
I
L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance,
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;
la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la dйfense;
l'йbat des anges; - Non... le courant d'or en marche,
meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle
sombre, ayant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle
pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.
II
Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides!
L'eau meuble d'or pвle et sans fond les couches prкtes.
Les robes vertes et dйteintes des fillettes
font les saules, d'oщ sautent les oiseaux sans brides.
Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupiиre,
le souci d'eau - ta foi conjugale, ф l'Epouse! -
au midi prompt, de son terne miroir, jalouse
au ciel gris de chaleur la Sphиre rose et chиre.
III
Madame se tient trop debout dans la prairie
prochaine oщ neigent les fils du travail; l'ombrelle
aux doigts; foulant l'ombelle; trop fiиre pour elle;
des enfants lisant dans la verdure fleurie
leur livre de maroquin rouge! Hйlas, Lui, comme
mille anges blancs qui se sйparent sur la route,
s'йloigne par-delа la montagne! Elle, toute
froide, et noire, court! aprиs le dйpart de l'homme!
IV
Regret des bras йpais et jeunes d'herbe pure!
Or des lunes d'avril au coeur du saint lit! Joie
des chantiers riverains а l'abandon, en proie
aux soirs d'aoыt qui faisaient germer ces pourritures!
Qu'elle pleure а prйsent sous les remparts! l'haleine
des peupliers d'en haut est pour la seule brise.
Puis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise:
un vieux, dragueur, dans sa barque immobile, peine.
V
Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre,
ф canot immobile! oh! bras trop courts! ni l'une
ni l'autre fleur: ni la jaune qui m'importune,
lа; ni la bleue, amie а l'eau couleur de cendre.
Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue!
Les roses des roseaux dиs longtemps dйvorйes!
Mon canot, toujours fixe; et sa chaоne tirйe
Au fond de cet oeil d'eau sans bords, - а quelle boue?
O saisons, ф chвteaux...
O saisons, ф chвteaux,
Quelle вme est sans dйfauts?
O saisons, ф chвteaux,
J'ai fait la magique йtude
Du Bonheur, que nul n'йlude.
O vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargй de ma vie.
Ce Charme! il prit вme et corps,
Et dispersa tous efforts.
Que comprendre а ma parole?
Il fait qu'elle fuie et vole!
O saisons, ф chвteaux!
Et, si le malheur m'entraоne,
Sa disgrвce m'est certaine.
Il faut que son dйdain, las!
Me livre au plus prompt trйpas!
- O Saisons, ф Chвteaux!
Le loup criait...
Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles:
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette;
Mais l'araignйe de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme! que je bouille
Aux autels de salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mкle au Cйdron.
Rкve
On a faim dans la chambrйe -
C'est vrai...
Emanations, explosions. Un gйnie:
"Je suis le gruиre! -
Lefкbvre: "Keller!"
Le gйnie: "Je suis le Brie! -
Les soldats coupent sur leur pain:
"C'est la vie!
Le gйnie. - "Je suis le Roquefort!
- "Ca s'ra not' mort!...
Je suis le gruиre
Et le Brie!... etc.
Valse
On nous a joints, Lefкbvre et moi, etc.
Proses
Les dйserts de l'amour
Avertissement
Ces йcritures-ci sont d'un jeune, tout jeune homme, dont la vie s'est dйveloppйe n'importe oщ; sans mиre, sans pays, insoucieux de tout ce qu'on connaоt, fuyant toute force morale, comme furent dйjа plusieurs pitoyables jeunes hommes. Mais, lui, si ennuyй et si troublй, qu'il ne fit que s'amener а la mort comme а une pudeur terrible et fatale. N'ayant pas aimй de femmes, - quoique plein de sang! - il eut son вme et son coeur, toute sa force, йlevйs en des erreurs йtranges et tristes. Des rкves suivants, - ses amours! - qui lui vinrent dans ses lits ou dans les rues, et de leur suite et de leur fin, de douces considйrations religieuses se dйgagent. Peut-кtre se rappellera-t-on le sommeil continu des Mahomйtans lйgendaires, - braves pourtant et circoncis! Mais, cette bizarre souffrance possйdant une autoritй inquiйtante, il faut sincиrement dйsirer que cette Ame, йgarйe parmi nous tous, et qui veut la mort, ce semble, rencontre en cet instant-lа des consolations sйrieuses et soit digne!
ARTHUR RIMBAUD
C'est, certes, la mкme campagne...
C'est, certes, la mкme campagne. La mкme maison rustique de mes parents: la salle mкme oщ les dessus de portes sont des bergeries roussies, avec des armes et des lions. Au dоner, il y a un salon avec des bougies et des vins et des boiseries rustiques. La table а manger est trиs grande. Les servantes! elles йtaient plusieurs, autant que je m'en suis souvenu. - Il y avait lа un de mes jeunes amis anciens, prкtre et vкtu en prкtre, maintenant: c'йtait pour кtre plus libre. Je me souviens de sa chambre de pourpre, а vitres de papier jaune: et ses livres, cachйs, qui avaient trempй dans l'ocйan!
Moi, j'йtais abandonnй, dans cette maison de campagne sans fin: lisant dans la cuisine, sйchant la boue de mes habits devant les hфtes, aux conversations du salon: йmu jusqu'а la mort par le murmure du lait du matin et de la nuit du siиcle dernier.
J'йtais dans une chambre trиs sombre: que faisais-je? Une servante vint prиs de moi: je puis dire que c'йtait un petit chien: quoiqu'elle fыt belle, et d'une noblesse maternelle inexprimable pour moi: pure, connue, toute charmante! Elle me pinзa le bras.
Je ne me rappelle mкme plus bien sa figure: ce n'est pas pour me rappeler son bras, dont je roulai la peau dans mes deux doigts; ni sa bouche, que la mienne saisit comme une petite vague dйsespйrйe, minant sans fin quelque chose. Je la renversai dans une corbeille de coussins et de toiles de navire, en un coin noir. Je ne me rappelle plus que son pantalon а dentelles blanches.
Puis, ф dйsespoir, la cloison devint vaguement l'ombre des arbres, et je me suis abоmй sous la tristesse amoureuse de la nuit.
Cette fois, c'est la Femme que j'ai vue dans la Ville, et а qui j'ai parlй et qui me parle.
J'йtais dans une chambre, sans lumiиre. On vint me dire qu'elle йtait chez moi: et je la vis dans mon lit, toute а moi, sans lumiиre! Je fus trиs йmu, et beaucoup parce que c'йtait la maison de famille: aussi une dйtresse me prit: J'йtais en haillons, moi, et elle, mondaine qui se donnait: il lui fallait s'en aller! Une dйtresse sans nom: je la pris, et la laissai tomber hors du lit, presque nue; et, dans ma faiblesse indicible, je tombai sur elle et me traоnai avec elle parmi les tapis, sans lumiиre. La lampe de la famille rougissait l'une aprиs l'autre les chambres voisines. Alors, la femme disparut. Je versai plus de larmes que Dieu n'en a pu jamais demander.
Je sortis dans la ville sans fin. O fatigue! Noyй dans la nuit sourde et dans la fuite du bonheur. C'йtait comme une nuit d'hiver, avec une neige pour йtouffer le monde dйcidйment. Les amis, auxquels je criais: oщ reste-t-elle, rйpondaient faussement. Je fus devant les vitrages de lа oщ elle va tous les soirs: je courais dans un jardin enseveli. On m'a repoussй. Je pleurais йnormйment, а tout cela. Enfin, je suis descendu dans un lieu plein de poussiиre, et, assis sur des charpentes, j'ai laissй finir toutes les larmes de mon corps avec cette nuit. - Et mon йpuisement me revenait pourtant toujours.
J'ai compris qu'Elle йtait а sa vie de tous les jours;et que le tour de bontй serait plus long а se reproduire qu'une йtoile. Elle n'est pas revenue, et ne reviendra jamais, l'Adorable qui s'йtait rendue chez moi, - ce que je n'aurais jamais prйsumй. Vrai, cette fois j'ai pleurй plus que tous les enfants du monde.
Proses йvangйliques
A Samarie...
A Samarie, plusieurs ont manifestй leur foi en lui. Il ne les a pas vus. Samarie s'enorgueillissait la parvenue, la perfide, l'йgoпste, plus rigide observatrice de sa loi protestante que Juda des tables antiques. Lа la richesse universelle permettait bien peu de discussion йclairйe. Le sophisme, esclave et soldat de la routine, y avait dйjа aprиs les avoir flattйs, йgorgй plusieurs prophиtes.
C'йtait un mot sinistre, celui de la femme а la fontaine: "Vous кtes prophиte, vous savez ce que j'ai fait."
Les femmes et les hommes croyaient aux prophиtes. Maintenant on croit а l'homme d'Etat.
A deux pas de la ville йtrangиre, incapable de la menacer matйriellement, s'il йtait pris comme prophиte, puisqu'il s'йtait montrй lа si bizarre, qu'aurait-il fait?
Jйsus n'a rien pu dire а Samarie.
-----
L'air lйger et charmant de la Galilйe: les habitants le reзurent avec une joie curieuse: ils l'avaient vu, secouй par la sainte colиre, fouetter les changeurs et les marchands de gibier du temple. Miracle de la jeunesse pвle et furieuse, croyaient-ils.
Il sentit sa main aux mains chargйes de bagues et а la bouche d'un officier. L'officier йtait а genoux dans la poudre: et sa tкte йtait assez plaisante, quoique а demi chauve.
Les voitures filaient dans les йtroites rue de la ville; un mouvement, assez fort pour ce bourg; tout semblait devoir кtre trop content ce soir-lа.
Jйsus retira sa main: il eut un mouvement d'orgueil enfantin et fйminin. "Vous autres, si vous ne voyez point des miracles, vous ne croyez point."
Jйsus n'avait point encor fait de miracle. Il avait, dans une noce, dans une salle а manger verte et rose, parlй un peu hautement а la Sainte Vierge. Et personne n'avait parlй du vin de Cana а Capharnaum, ni sur le marchй, ni sur les quais. Les bourgeois peut-кtre.
Jйsus dit: "Allez, votre fils se porte bien." L'officier s'en alla, comme on porte quelque pharmacie lйgиre, et Jйsus continua par les rues moins frйquentйes. Des liserons oranges, des bourraches montraient leur lueur magique entre les pavйs. Enfin il vit au loin la prairie poussiйreuse, et les boutons d'or et les marguerites demandant grвce au jour.
-----
Beth-Saпda, la piscine des cinq galeries, йtait un point d'ennui. Il semblait que ce fыt un sinistre lavoir, toujours accablй de la pluie et noir; et les mendiants s'agitant sur les marches intйrieures; - blкmies par ces lueurs d'orages prйcurseurs des йclairs d'enfer, en plaisantant sur leur yeux bleus aveugles, sur les linges blancs ou bleus dont s'entouraient leurs moignons. O buanderie militaire, ф bain populaire. L'eau йtait toujours noire, et nul infirme n'y tombait mкme en songe.
C'est lа que Jйsus fit la premiиre action grave; avec les infвmes infirmes. Il y avait un jour, de fйvrier, mars ou avril, oщ le soleil de deux heures aprиs midi, laissait s'йtaler une grande faux de lumiиre sur l'eau ensevelie, et comme, lа-bas, loin derriиre les infirmes, j'aurais pu voir tout ce que ce rayon seul йveillait de bourgeons et de cristaux et de vers, dans le reflet, pareil а un ange blanc couchй sur le cфtй, tous les reflets infiniment pвles remuaient.
Alors tous les pйchйs, fils lйgers et tenaces du dйmon, qui pour les coeurs un peu sensibles, rendaient ces hommes plus effrayants que les monstres, voulaient se jeter а cette eau. Les infirmes descendaient, ne raillant plus; mais avec envie.
Les premiers entrйs sortaient guйris, disait-on. Non. Les pйchйs les rejetaient sur les marches, et les forзaient de chercher d'autres postes: car leur Dйmon ne peut rester qu'aux lieux oщ l'aumфne est sыre.
Jйsus entra aussitфt aprиs l'heure de midi. Personne ne lavait ni ne descendaient de bкtes. La lumiиre dans la piscine йtait jaune comme les derniиres feuilles des vignes. Le divin maоtre se tenait contre une colonne: il regardait les fils du Pйchй; le dйmon tirait sa langue en leur langue; et riait.
Le Paralytique se leva, qui йtait restй couchй sur le flanc, franchit la galerie et ce fut d'un pas singuliиrement assurй qu'ils le virent franchir la galerie et disparaоtre dans la ville, les Damnйs.
Une saison en enfer
Jadis, si je me souviens bien...
"Jadis, si je me souviens bien, ma vie йtait un festin oщ s'ouvraient tous les coeurs, oщ tous les vins coulaient. Un soir, j'ai assis la Beautй sur mes genoux. - Et je l'ai trouvйe amиre. - Et je l'ai injuriйe.
Je me suis armй contre la justice.
Je me suis enfui. O sorciиres, ф misиre, ф haine, c'est а vous que mon trйsor a йtй confiй!
Je parvins а faire s'йvanouir dans mon esprit toute l'espйrance humaine. Sur toute joie pour l'йtrangler j'ai fait le bond sourd de la bкte fйroce.
J'ai appelй les bourreaux pour, en pйrissant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelй les flйaux, pour m'йtouffer avec le sable, le sang. Le malheur a йtй mon dieu. Je me suis allongй dans la boue. Je me suis sйchй а l'air du crime. Et j'ai jouй de bons tours а la folie.
Et le printemps m'a apportй l'affreux rire de l'idiot.
Or, tout derniиrement m'йtant trouvй sur le point de faire le dernier couac! j'ai songй а rechercher la clef du festin ancien, oщ je reprendrais peut-кtre appйtit.
La charitй est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rкvй!
"Tu resteras hyиne, etc...," se rйcrie le dйmon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appйtits, et ton йgoпsme et tous les pйchйs capitaux."
Ah! j'en ai trop pris: - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritйe! et en attendant les quelques petites lвchetйs en retard, vous qui aimez dans l'йcrivain l'absence des facultйs descriptives ou instructives, je vous dйtache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damnй.
Mauvais sang
J'ai de mes ancкtres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle йtroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois йtaient les йcorcheurs de bкtes, les brыleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.
D'eux, j'ai: l'idolвtrie et l'amour du sacrilиge; - Oh! tous les vices, colиre, luxure, - magnifique, la luxure; - surtout mensonge et paresse.
J'ai horreur de tous les mйtiers. Maоtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main а plume vaut la main а charrue. - Quel siиcle а mains! - Je n'aurai jamais ma main. Aprиs, la domesticitй mиne trop loin. L'honnкtetй de la mendicitй me navre. Les criminels dйgoыtent comme des chвtrйs: moi, je suis intact, et зa m'est йgal.
Mais! qui a fait ma langue perfide tellement qu'elle ait guidй et sauvegardй jusqu'ici ma paresse? Sans me servir pour vivre mкme de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vйcu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la dйclaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille!
-----
Si j'avais des antйcйdents а un point quelconque de l'histoire de France!
Mais non, rien.
Il m'est bien йvident que j'ai toujours йtй de race infйrieure. Je ne puis comprendre la rйvolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller: tels les loups а la bкte qu'ils n'ont pas tuйe.
Je me rappelle l'histoire de la France fille aоnйe de l'Eglise. J'aurai fait, manant, le voyage de terre sainte, j'ai dans la tкte des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme; le culte de Marie, l'attendrissement sur le crucifiй s'йveillent en moi parmi les mille fйeries profanes. - Je suis assis, lйpreux, sur les pots cassйs et les orties, au pied d'un mur rongй par le soleil. - Plus tard, reоtre, j'aurais bivaquй sous les nuits d'Allemagne.
Ah! encore: je danse le sabat dans une rouge clairiиre, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passй. Mais toujours seul; sans famille; mкme, quelle langue parlais-je? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ; ni dans les conseils des Seigneurs, - reprйsentants du Christ.
Qu'йtais-je au siиcle dernier: je ne me retrouve qu'aujourd'hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race infйrieure a tout couvert - le peuple, comme on dit, la raison; la nation et la science.
Oh! la science! On a tout repris. Pour le corps et pour l'вme, - le viatique, - on a la mйdecine et la philosophie, - les remиdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangйes. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient! Gйographie, cosmographie, mйcanique, chimie!...
La science, la nouvelle noblesse! Le progrиs. Le monde marche! Pourquoi ne tournerait-il pas?
C'est la vision des nombres. Nous allons а l'Esprit. C'est trиs certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles paпennes, je voudrais me taire.
-----
Le sang paпen revient! L'esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant а mon вme noblesse et libertй. Hйlas! l'Evangile a passй! l'Evangile! l'Evangile.
J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race infйrieure de toute йternitй.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journйe est faite; je quitte l'Europe. L'air marin brыlera mes poumons; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout; boire des liqueurs fortes comme du mйtal bouillant, - comme faisaient ces chers ancкtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux: sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or: je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces fйroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mкlй aux affaires politiques. Sauvй.
Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grиve.
-----
On ne part pas. - Reprenons les chemins d'ici, chargй de mon vice, le vice qui a poussй ses racines de souffrance а mon cфtй, dиs l'вge de raison - qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traоne.
La derniиre innocence et la derniиre timiditй. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dйgoыts et mes trahisons.
Allons! La marche, le fardeau, le dйsert, l'ennui et la colиre.
A qui me louer? Quelle bкte faut-il adorer? Quelle sainte image attaque-t-on? Quels coeurs briserai-je? Quel mensonge dois-je tenir? - Dans quel sans marcher?
Plutфt, se garder de la justice. - La vie dure, l'abrutissement simple, - soulever, le poing dessйchй, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'йtouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers: la terreur n'est pas franзaise.
- Ah! je suis tellement dйlaissй que j'offre а n'importe quelle divine image des йlans vers la perfection.
O mon abnйgation, ф ma charitй merveilleuse! ici-bas, pourtant!
De profundis Domine, suis-je bкte!
-----
Encore tout enfant, j'admirais le forзat intraitable sur qui se referme toujours le bagne; je visitais les auberges et les garnis qu'il aurait sacrйs par son sйjour; je voyais avec son idйe le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne; je flairais sa fatalitй dans les villes. Il avait plus de force qu'un saint, plus de bon sens qu'un voyageur - et lui, lui seul! pour tйmoin de sa gloire et de sa raison.
Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gоte, sans habits, sans pain, une voix йtreignait mon coeur gelй:
"Faiblesse ou force: te voilа, c'est la force. Tu ne sais ni oщ tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, rйponds а tout. On ne te tuera pas plus que si tu йtais cadavre."
Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrйs ne m'ont peut-кtre pas vu.
Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trйsor dans la forкt! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumйes au ciel; et, а gauche, а droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'йtaient interdites. Pas mкme un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspйrйe, en face du peloton d'exйcution, pleurant du malheur qu'ils n'aient pu comprendre, et pardonnant! - Comme Jeanne d'Arc! -
"Prкtres, professeurs, maоtres, vous trompez en me livrant а la justice. Je n'ai jamais йtй de ce peuple-ci; je n'ai jamais йtй chrйtien; je suis de la race qui chantait dans le supplice; je ne comprends pas les lois; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute: vous trompez..."
Oui, j'ai les yeux fermйs а votre lumiиre. Je suis une bкte, un nиgre. Mais je puis кtre sauvй. Vous кtes de faux nиgres, vous maniaques, fйroces, avares. Marchand, tu es nиgre; magistrat, tu es nиgre; gйnйral, tu es nиgre; empereur, vieille dйmangeaison, tu es nиgre: tu as bu d'une liqueur non taxйe, de la fabrique de Satan. - Ce peuple est inspirй par la fiиvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent а кtre bouillis. - Le plus malin est de quitter ce continent, oщ la folie rфde pour pourvoir d'otages ces misйrables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature? me connais-je? - Plus de mots. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse! Je ne vois mкme pas l'heure oщ, les blancs dйbarquant, je tomberai au nйant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse!
-----
Les blancs dйbarquent. Le canon! Il faut se soumettre au baptкme, s'habiller, travailler.
J'ai reзu au coeur le coup de la grвce. Ah! je ne l'avais pas prйvu!
Je n'ai point fait le mal. Les jours vont m'кtre lйgers, le repentir me sera йpargnй. Je n'aurai pas eu les tourments de l'вme presque morte au bien, oщ remonte la lumiиre sйvиre comme les cierges funйraires. Le sort du fils de famille, cercueil prйmaturй couvert de limpides larmes. Sans doute la dйbauche est bкte, le vice est bкte; il faut jeter la pourriture а l'йcart. Mais l'horloge ne sera pas arrivйe а ne plus sonner que l'heure de la pure douleur! Vais-je кtre enlevй comme un enfant, pour jouer au paradis dans l'oubli de tout le malheur!
Vite! est-il d'autres vies? - Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours йtй bien public. L'amour divin seul octroie les clefs de la science.
Je vois que la nature n'est qu'un spectacle de bontй.
Adieu chimиres, idйals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s'йlиve du navire sauveur: c'est l'amour divin. - Deux amours! je puis mourir de l'amour terrestre, mourir de dйvouement.
J'ai laissй des вmes dont la peine s'accroоtra de mon dйpart! Vous me choisissez parmi les naufragйs, ceux qui restent sont-ils pas mes amis?
Sauvez-les!
La raison est nйe. Le monde est bon. je bйnirai la vie. J'aimerai mes frиres. Ce ne sont plus des promesses d'enfance. Ni l'espoir d'йchapper а la vieillesse et а la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.
-----
L'ennui n'est plus mon amour. Les rages, les dйbauches, la folie, dont je sais tous les йlans et les dйsastres, - tout mon fardeau est dйposй. Apprйcions sans vertige l'йtendu de mon innocence.
Je ne serais plus capable de demander le rйconfort d'une bastonnade. Je ne me crois pas embarquй pour une noce avec Jйsus-Christ pour beau-pиre.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit: Dieu.
Je veux la libertй dans le salut: comment la poursuivre? Les goыts frivoles m'ont quittй. Plus besoin de dйvouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siиcle des coeurs sensibles. Chacun a sa raison, mйpris et charitй: je retiens ma place au sommet de cette angйlique йchelle de bon sens.
Quant au bonheur йtabli, domestique ou non... non, je ne peux pas. Je suis trop dissipй, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vйritй: moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, а manquer du courage d'aimer la mort!
Si Dieu m'accordait le calme cйleste, aйrien, la priиre, - comme les anciens saints. - Les saints! des forts! les anachorиtes, des artistes comme il n'en faut plus!
Farce continuelle! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce а mener par tous.
-----
Assez! voici la punition. - En marche!
Ah! les poumons brыlent, les tempes grondent! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil! le coeur... les membres...
Oщ va-t-on? au combat? je suis faible! les autres avancent. Les outils, les armes... le temps!...
Feu! feu sur moi! Lа! ou je me rends. - Lвches! - Je me tue! Je me jette aux pieds des chevaux!
Ah!...
- Je m'y habituerai.
Ce serait la vie franзaise, le sentier de l'honneur!
Nuit de l'enfer
J'ai avalй une fameuse gorgйe de poison. - Trois fois bйni soit le conseil qui m'est arrivй! - Les entrailles me brыlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j'йtouffe, je ne puis crier. C'est l'enfer, l'йternelle peine! Voyez comme le feu se relиve! Je brыle comme il faut. Va, dйmon!
J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, la salut. Puis-je dйcrire la vision, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes! C'йtait des millions de crйatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je?
Les nobles ambitions!
Et c'est encore la vie! - Si la damnation est йternelle! Un homme qui veut se mutiler est bien damnй, n'est-ce pas? Je me crois en enfer, donc j'y suis. C'est l'exйcution du catйchisme. Je suis esclave de mon baptкme. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vфtre. Pauvre innocent! l'enfer ne peut attaquer les paпens. - C'est la vie encore! Plus tard, les dйlices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au nйant, de par la loi humaine.
Tais-toi, mais tais-toi!... C'est la honte, le reproche, ici: Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colиre est affreusement sotte. - Assez!... Des erreurs qu'on me souffle, magies, parfums faux, musiques puйriles. - Et dire que je tiens la vйritй, que je vois la justice: j'ai un jugement sain et arrкtй, je suis prкt pour la perfection... Orgueil. - La peau de ma tкte se dessиche. Pitiй! Seigneur, j'ai peur. J'ai soif, si soif!
Ah! l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze... le diable est au clocher, а cette heure. Marie! Sainte-Vierge!... - Horreur de ma bкtise.
Lа-bas, ne sont-ce pas des вmes honnкtes, qui me veulent du bien... Venez... J'ai un oreiller sur la bouche, elles ne m'entendent pas, ce sont des fantфmes. Puis, jamais personne ne pense а autrui. Qu'on n'approche pas. Je sens le roussi, c'est certain.
Les hallucinations sont innombrables. C'est bien ce que j'ai toujours eu: plus de foi en l'histoire, l'oubli des principes. Je m'en tairai: poиtes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah зa! l'horloge de la vie s'est arrкtйe tout а l'heure. Je ne suis plus au monde. - La thйologie est sйrieuse, l'enfer est certainement en bas - et le ciel en haut. - Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes.
Que de malices, dans l'attention dans la campagne... Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages... Jйsus marche sur les ronces purpurines, sans les courber... Jйsus marchait sur les eaux irritйes. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d'une vague d'йmeraude...
Je vais dйvoiler tous les mystиres: mystиres religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passй, cosmogonie, nйant. Je suis maоtre en fantasmagories.
Ecoutez!...
J'ai tous les talents! - Il n'y a personne ici et il y a quelqu'un: je ne voudrais pas rйpandre mon trйsor. - Veut-on des chants nиgres, des danses de houris? Veut-on que je disparaisse, que je plonge а la recherche de l'anneau? Veut-on? Je ferai de l'or, des remиdes.
Fiez-vous donc а moi, la foi soulage, guide, guйrit. Tous, venez, - mкme les petits enfants, - que je vous console, qu'on rйpande pour vous son coeur, - le coeur merveilleux! - Pauvres hommes, travailleurs! Je ne demande pas de priиres; avec votre confiance seulement, je serai heureux.
- Et pensons а moi. Ceci me fait un peu regretter le monde. J'ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c'est regrettable.
Bah! faisons toutes les grimaces imaginables.
Dйcidйment, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah! mon chвteau, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours... Suis-je las!
Je devrais avoir mon enfer pour la colиre, mon enfer pour l'orgueil, - et l'enfer de la caresse; un concert d'enfers.
Je meurs de lassitude. C'est le tombeau, je m'en vais aux vers, horreur de l'horreur! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je rйclame. Je rйclame! un coup de fourche, une goutte de feu.
Ah! remonter а la vie! Jeter les yeux sur nos difformitйs. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit! Ma faiblesse, la cruautй du monde! Mon Dieu, pitiй, cachez-moi, je me tiens trop mal! - Je suis cachй et je ne le suis pas.
C'est le feu qui se relиve avec son damnй.
Dйlires
I
Vierge folle
L'йpoux infernal
Ecoutons, la confession d'un compagnon d'enfer: "O divin Epoux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes. Je suis perdue. Je suis soыle. Je suis impure. Quelle vie!
"Pardon, divin Seigneur, pardon! Ah! pardon! Que de larmes! Et que de larmes encor plus tard, j'espиre!
"Plus tard, je connaоtrai le divin Epoux! Je suis nйe
soumise а Lui. - L'autre peut me battre maintenant!
"A prйsent, je suis au fond du monde! O mes amies!... non, pas mes amies... Jamais dйlires ni tortures semblables... Est-ce bкte!
"Ah! je souffre, je crie. Je souffre vraiment. Tout pourtant m'est permis, chargйe du mйpris des plus mйprisables coeurs.
"Enfin, faisons cette confidence, quitte а la rйpйter vingt autres fois, - aussi morne, aussi insignifiante!
"Je suis esclave de l'Epoux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C'est bien ce dйmon-lа. Ce n'est pas un spectre, ce n'est pas un fantфme. Mais moi qui ai perdu la sagesse, qui suis damnйe et morte au monde, - on ne me tuera pas! - Comment vous le dйcrire! Je ne sais mкme plus parler. Je suis en deuil, je pleure, j'ai peur. Un peu de fraоcheur, Seigneur, si vous voulez, si vous voulez bien!
" Je suis veuve... - J'йtais veuve... - mais oui, j'ai йtй bien sйrieuse jadis, et je ne suis pas nйe pour devenir squelette!... - Lui йtait presque un enfant...
Ses dйlicatesses mystйrieuses m'avaient sйduite. J'ai oubliй tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je vais oщ il va, il le faut. Et souvent il s'emporte contre moi, moi, la pauvre вme. Le Dйmon! - C'est un Dйmon, vous savez, ce n'est pas un homme.
"Il dit: "Je n'aime pas les femmes. L'amour est а rйinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir un position assurйe. La position gagnйe, coeur et beautй sont mis de cфtй: il ne reste que froid dйdain, l'aliment du mariage, aujourd'hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j'aurais pu faire de bonnes camarades, dйvorйes tout d'abord par des brutes sensibles comme des bыchers..."
"Je l'йcoute faisant de l'infamie une gloire, de la cruautй un charme: "Je suis de race lointaine: mes pиres йtaient Scandinaves: ils se perзaient les cфtes, buvaient leur sang. - Je me ferai des entailles par tout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol: tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachйe de sang partout. Jamais je ne travaillerai..." Plusieurs nuits, son dйmon me saisissant, nous roulions, je luttais avec lui! - Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m'йpouvanter mortellement. -
"On me coupera vraiment le cou; ce sera dйgoыtant." Oh! ces jours oщ il veut marcher avec l'air du crime!
"Parfois il parle, en une faзon de patois attendri, de la mort qui fait repentir, des malheureux qui existent certainement, des travaux pйnibles, des dйparts qui dйchirent les coeurs. Dans les bouges oщ nous enivrions, il pleurait en considйrant ceux qui nous entouraient, bйtail de la misиre. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. Il avait la pitiй d'une mиre mйchante pour les petits enfants. - Il s'en allait avec des gentillesses de petite fille au catйchisme. - Il feignait d'кtre йclairй sur tout, commerce, art, mйdecine. - Je le suivais, il le faut!
"Je voyais tout le dйcor dont, en esprit, il s'entourait; vкtements, draps, meubles: je lui prкtais des armes, une autre figure. Je voyais tout ce qui le touchait, comme il aurait voulu le crйer pour lui. Quand il me semblait avoir l'esprit inerte, je le suivais, moi, dans des actions йtranges et compliquйes, loin, bonnes ou mauvaises: j'йtais sыre de ne jamais entrer dans son monde. A cфtй de son cher corps endormi, que d'heures des nuits j'ai veillй, cherchant pourquoi il voulait tant s'йvader de la rйalitй. Jamais l'homme n'eut pareil voeu. Je reconnaissais, - sans craindre pour lui, - qu'il pouvait кtre un sйrieux danger dans la sociйtй. - Il a peut-кtre des secrets pour changer la vie? Non, il ne fait qu'en chercher, me rйpliquais-je. Enfin sa charitй est ensorcelйe, et j'en suis la prisonniиre. Aucune autre вme n'aurait assez de force, - force de dйsespoir! - pour la supporter, - pour кtre protйgйe et aimйe par lui. D'ailleurs, je ne me le figurais pas avec une autre вme: on voit son Ange, jamais l'Ange d'un autre, - je crois. J'йtais dans son вme comme dans un palais qu'on a vidй pour ne pas voir une personne si peu noble que vous: voilа tout. Hйlas! je dйpendais bien de lui. Mais que voulait-il avec mon existence terne et lвche? Il ne me rendait pas meilleure, s'il ne me faisait pas mourir! Tristement dйpitйe, je lui dis quelquefois: "Je te comprends." Il haussait les йpaules.
"Ainsi, mon chagrin se renouvelant sans cesse, et me trouvant plus йgarйe а mes yeux, - comme а tous les yeux qui auraient voulu me fixer, si je n'eusse йtй condamnйe pour jamais а l'oubli de tous! - j'avais de plus en plus faim de sa bontй. Avec ses baisers et ses йtreintes amies, c'йtait bien un ciel, un sombre ciel, oщ j'entrais, et oщ j'aurais voulu кtre laissйe, pauvre, sourde, muette, aveugle. Dйjа j'en prenais l'habitude. Je nous voyais comme deux bons enfants, libres de se promener dans le Paradis de tristesse. Nous nous accordions. Bien йmus, nous travaillions ensemble. Mais, aprиs une pйnйtrante caresse, il disait: "Comme зa te paraоtra drфle, quand je n'y serai plus, ce par quoi tu as passй. Quand tu n'auras plus mes bras sous ton cou, ni mon coeur pour t'y reposer, ni cette bouche sur tes yeux. Parce qu'il faudra que je m'en aille, trиs loin, un jour. Puis il faut que j'en aide d'autres: c'est mon devoir. Quoique ce ne soit guиre ragoыtant..., chиre вme..." Tout de suite je me pressentais, lui parti, en proie au vertige, prйcipitйe dans l'ombre la plus affreuse: la mort. Je lui faisais promettre qu'il ne me lвcherait pas. Il l'a faite vingt fois, cette promesse d'amant. C'йtait aussi frivole que moi lui disant: "Je te comprends."
"Ah! je n'ai jamais йtй jalouse de lui. Il ne me quittera pas, je crois. Que devenir? Il n'a pas une connaissance; il ne travaillera jamais. Il veut vivre somnambule. Seules, sa bontй et sa charitй lui donneraient-elles droit dans le monde rйel? Par instants, j'oublie la pitiй oщ je suis tombйe: lui me rendra forte, nous voyagerons, nous chasserons dans les dйserts, nous dormirons sur les pavйs des villes inconnues, sans soins, sans peines. Ou je me rйveillerai, et les lois et les moeurs auront changй, - grвce а son pouvoir magique, - le monde, en restant le mкme, me laissera а mes dйsirs, joies, nonchalances. Oh! la vie d'aventures qui existe dans les livres des enfants, pour me rйcompenser, j'ai tant souffert, me la donneras-tu? Il ne peut pas. J'ignore son idйal. il m'a dit avoir des regrets, des espoirs: cela ne doit pas me regarder. Parle-t-il а Dieu? Peut-кtre devrais-je m'adresser а Dieu. Je suis au plus profond de l'abоme, et je ne sais plus prier.
"S'il m'expliquait ses tristesses, les comprendrais-je plus que ses railleries? Il m'attaque, il passe des heures а me faire honte de tout ce qui m'a pu toucher au monde, et s'indigne si je pleure.
" - Tu vois cet йlйgant jeune homme, entrant dans la belle et calme maison: il s'appelle Duval, Dufour, Armand, Maurice, que sais-je? Une femme s'est dйvouйe а aimer ce mйchant idiot: elle est morte, c'est certes une sainte au ciel, а prйsent. Tu me feras mourir comme il a fait mourir cette femme. C'est notre sort, а nous, coeurs charitables..." Hйlas! il avait des jours oщ tous les hommes agissant lui paraissaient les jouets de dйlires grotesques: il riait affreusement, longtemps. - Puis, il reprenait ses maniиres de jeune mиre, de soeur aimйe. S'il йtait moins sauvage, nous serions sauvйs! Mais sa douceur aussi est mortelle. Je lui suis soumise. - Ah! je suis folle!
"Un jour peut-кtre il disparaоtra merveilleusement; mais il faut que je sache, s'il doit remonter а un ciel, que je voie un peu l'assomption de mon petit ami!"
Drфle de mйnage!
II
Alchimie du verbe
A moi. L'histoire de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de possйder tous les paysages possibles, et trouvais dйrisoire les cйlйbritйs de la peinture et de la poйsie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, dйcors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littйrature dйmodйe, latin d'йglise, livres йrotiques sans orthographe, romans de nos aпeules, contes de fйes, petits livres de l'enfance, opйras vieux, refrains niais, rythmes naпfs.
Je rкvais croisades, voyages de dйcouvertes dont on n'a pas de relations, rйpubliques sans histoires, guerres de religion йtouffйes, rйvolutions de moeurs, dйplacements de races et de continents: je croyais а tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je rйglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poйtique accessible, un jour ou l'autre, а tous les sens. Je rйservais la traduction.
Ce fut d'abord une йtude. J'йcrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.
-----
Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Que buvais-je, а genoux dans cette bruyиre
Entourйe de tendres bois de noisetiers,
Dans un brouillard d'aprиs-midi tiиde et vert?
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
- Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert!
Boire а ces gourdes jaunes, loin de ma case
Chйrie? Quelque liqueur d'or qui fait suer.
Je faisais une louche enseigne d'auberge.
- un orage vint chasser le ciel. Au soir
L'eau des bois se perdaient sur les sables vierges,
Le vent de Dieu jetait des glaзons aux mares;
Pleurant, je voyais de l'or - et ne pus boire. -
-----
A quatre heures du matin, l'йtй,
Le sommeil d'amour dure encore.
Sous les bocages s'йvapore
L'odeur du soir fкtй.
Lа-bas, dans leur vaste chantier
Au soleil des Hespйrides,
Dйjа s'agitent - en bras de chemise -
Les Charpentiers.
Dans leurs Dйserts de mousse, tranquilles,
Ils prйparent les lambris prйcieux
Oщ la ville
Peindra de faux cieux.
O, pour ces Ouvriers charmants
Sujets d'un roi de Babylone,
Vйnus! quitte un instant les Amants
Dont l'вme est en couronne.
O Reine des Bergers,
Porte aux travailleurs l'eau-de-vie,
Que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer а midi.
-----
La vieillerie poйtique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe.
Je m'habituai а l'hallucination simple: je voyais trиs franchement une mosquйe а la place d'une usine, une йcole de tambours faite par des anges, des calиches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac; les monstres, les mystиres; un titre de vaudeville dressait des йpouvantes devant moi.
Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots!
Je finis par trouver sacrй le dйsordre de mon esprit. J'йtais oisif, en proie а une lourde fiиvre: j'enviais la fйlicitй des bкtes, - les chenilles, qui reprйsentent l'innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginitй!
Mon caractиre s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espиces de romances:
Chanson de la plus haute tour
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'йprenne.
J'ai tant fait patience
Qu'а jamais j'oublie.
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'йprenne.
Telle la prairie
A l'oubli livrйe,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies,
Au bourdon farouche
Des sales mouches.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'йprenne.
J'aimai le dйsert, les vergers brыlйs, les boutiques fanйes, les boissons tiйdies. Je me traоnais dans les ruelles puantes et, les yeux fermйs, je m'offrais au soleil, dieu de feu.
"Gйnйral, s'il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines, bombarde-nous avec des blocs de terre sиche. Aux glaces des magasins splendides! dans les salons! Fais manger sa poussiиre а la ville. Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs de poudre de rubis brыlante..."
Oh! le moucheron enivrй а la pissotiиre de l'auberge, amoureux de la bourrache, et que dissout un rayon!
Faim
Si j'ai du goыt, ce n'est guиre
Que pour la terre et les pierres.
Je dйjeune toujours d'air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le prй des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu'on brise,
Les vieilles pierres d'йglises;
Les galets des vieux dйluges,
Pains semйs dans les vallйes grises.
-----
Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles:
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette;
Mais l'araignйe de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme! que je bouille
Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mкle au Cйdron.
Enfin, ф bonheur, ф raison, j'йcartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vйcus, йtincelle d'or de la lumiиre nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et йgarйe au possible:
Elle est retrouvйe!
Quoi? l'йternitй.
C'est la mer mкlйe
Au soleil.
Mon вme йternelle,
Observe ton voeu
Malgrй la nuit seule
Et le jour en feu.
Donc tu te dйgages
Des humains suffrages,
Des communs йlans!
Tu voles selon...
- Jamais l'espйrance.
Pas d'orietur.
Science et patience,
Le supplice est sыr.
Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.
Elle est retrouvйe!
- Quoi? - l'Eternitй.
C'est la mer mкlйe
Au soleil.
-----
Je devins un opйra fabuleux: je vis que tous les кtres ont une fatalitй de bonheur: l'action n'est pas la vie, mais une faзon de gвcher quelque force, un йnervement. La morale est la faiblesse de la cervelle.
A chaque кtre, plusieurs autres vies mes semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait: il est un ange. Cette famille est une nichйe de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies. - Ainsi, j'ai aimй un porc.
Aucun des sophismes de la folie, - la folie qu'on enferme, - n'a йtй oubliй par moi: je pourrais les redire tous, je tiens le systиme.
Ma santй fut menacйe. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levй, je continuais les rкves les plus tristes. J'йtais mыr pour le trйpas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmйrie, patrie de l'ombre et des tourbillons.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblйs sur mon cerveau. Sur la mer, que j'aimais comme si elle eыt dы me laver d'une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J'avais йtй damnй par l'arc-en-ciel. Le Bonheur йtait ma fatalitй, mon remords, mon ver: ma vie serait toujours trop immense pour кtre dйvouйe а la force et а la beautй.
Le Bonheur! Sa dent, douce а la mort, m'avertissait au chant du coq, - ad matutinum, au Christus venit, - dans les plus sombres villes:
O saisons, ф chвteaux!
Quelle вme est sans dйfauts?
J'ai fait la magique йtude
Du bonheur, qu'aucun n'йlude.
Salut а lui, chaque fois
Que chante le coq gaulois.
Ah! je n'aurai plus d'envie:
Il s'est chargй de ma vie.
Ce charme a pris вme et corps
Et dispersй les efforts.
O saisons, ф chвteaux!
L'heure de sa fuite, hйlas!
Sera l'heure du trйpas.
O saisons, ф chвteaux!
-----
Cela s'est passй. Je sais aujourd'hui saluer la beautй.
L'impossible
Ah! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus dйsintйressй que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'йtait. - Et je m'en aperзois seulement!
- J'ai eu raison de mйpriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propretй et de la santй de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous.
J'ai eu raison dans tous mes dйdains: puisque je m'йvade!
Je m'йvade!
Je m'explique.
Hier encore, je soupirais: "Ciel! sommes-nous assez de damnйs ici-bas! Moi j'ai tant de temps dйjа dans leur troupe! Je les connais tous. Nous nous reconnaissons toujours; nous nous dйgoыtons. La charitй nous est inconnue. Mais nous sommes polis; nos relations avec le monde sont trиs convenables." Est-ce йtonnant? Le monde! les marchands, les naпfs! - Nous ne sommes pas dйshonorйs. - Mais les йlus, comment nous recevraient-ils? Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux йlus, puisqu'il nous faut de l'audace ou de l'humilitй pour les aborder. Ce sont les seuls йlus. Ce ne sont pas des bйnisseurs!
M'йtant retrouvй deux sous de raison - зa passe vite! - je vois que mes malaises viennent de ne m'кtre pas figurй assez tфt que nous sommes а l'Occident. Les marais occidentaux! Non que je croie la lumiиre altйrйe, la forme extйnuйe, le mouvement йgarй... Bon! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les dйveloppements cruels qu'a subis l'esprit depuis la fin de l'Orient... Il en veut, mon esprit!
... Mes deux sous de raison sont finis! - L'esprit est autoritй, il veut que je sois en Occident. Il faudrait le faire taire pour conclure comme je voulais.
J'envoyais au diable les palmes des martyrs, les rayons de l'art, l'orgueil des inventeurs, l'ardeur des pillards; je retournais а l'Orient et а la sagesse premiиre et йternelle. - Il paraоt que c'est un rкve de paresse grossiиre!
Pourtant, je ne songeais guиre au plaisir d'йchapper aux souffrances modernes. Je n'avais pas en vue la sagesse bвtarde du Coran. - Mais n'y a-t-il pas un supplice rйel en ce que, depuis cette dйclaration de la science, le christianisme, l'homme se joue, se prouve les йvidences, se gonfle du plaisir de rйpйter ces preuves, et ne vit que comme cela! Torture subtile, niaise; source de mes divagations spirituelles. La nature pourrait s'ennuyer, peut-кtre M. Prudhomme est nй avec le Christ.
N'est-ce pas parce que nous cultivons la brume! Nous mangeons la fiиvre avec nos lйgumes aqueux. Et l'ivrognerie! et le tabac! et l'ignorance! et les dйvouements! - Tout cela est-il assez loin de la pensйe de la sagesse de l'Orient, la patrie primitive? Pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s'inventent!
Les gens d'Eglise diront: C'est compris. Mais vous voulez parler de l'Eden. Rien pour vous dans l'histoire des peuples orientaux. - C'est vrai; c'est а l'Eden que je songeais! Qu'est-ce que c'est pour mon rкve, cette puretй des races antiques!
Les philosophes: le monde n'a pas d'вge. L'humanitй se dйplace, simplement. Vous кtes en Occident, mais libre d'habiter dans votre Orient, quelque ancien qu'il vous le faille, - et d'y habiter bien. Ne soyez pas un vaincu. Philosophes, vous кtes de votre Occident.
Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi! - Ah! la science ne va pas assez vite pour nous!
- Mais je m'aperзois que mon esprit dort.
S'il йtait йveillй toujours а partir de ce moment, nous serions bientфt а la vйritй, qui peut-кtre nous entoure avec ses anges pleurant!... - S'il avait йtй йveillй jusqu'а ce moment-ci, c'est que je n'aurais pas cйdй aux instincts dйlйtиres, а une йpoque immйmoriale!... - S'il avait toujours йtй bien йveillй, je voguerais en pleine sagesse!...
O puretй! puretй!
C'est cette minute d'йveil qui m'a donnй la vision de la puretй! - Par l'esprit on va а Dieu!
Dйchirante infortune!
L'йclair
Le travail humain! c'est l'explosion qui йclaire mon abоme de temps en temps.
"Rien n'est vanitй; а la science, et en avant!" crie l'Ecclйsiaste moderne, c'est-а-dire Tout le monde. Et pourtant les cadavres des mйchants et des fainйants tombent sur le coeur des autres... Ah! vite, vite un peu; lа-bas, par-delа la nuit, ces rйcompenses futures, йternelles... les йchappons-nous?...
- Qu'y puis-je? Je connais le travail; et la science est trop lente. Que la priиre galope et que la lumiиre gronde... je le vois bien. C'est trop simple, et il fait trop chaud; on se passera de moi. J'ai mon devoir, j'en serai fier а la faзon de plusieurs, en le mettant de cфtй.
Ma vie est usйe. Allons! feignons, fainйantons, ф pitiй! Et nous existerons en nous amusant, en rкvant amours monstres et univers fantastiques, en nous plaignant et en querellant les apparences du monde, saltimbanque, mendiant, artiste, bandit, - prкtre! Sur mon lit d'hфpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante; gardien des aromates sacrйs, confesseurs, martyr...
Je reconnais lа ma sale йducation d'enfance. Puis quoi!... Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt ans...
Non! non! а prйsent je me rйvolte contre la mort! Le travail paraоt trop lйger а mon orgueil: ma trahison au monde serait un supplice trop court. Au dernier moment, j'attaquerais а droite, а gauche...
Alors, - oh! - chиre pauvre вme, l'йternitй serait-elle pas perdue pour nous!
Matin
N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, hйroпque, fabuleuse, а йcrire sur des feuilles d'or, - trop de chance! Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mйritй ma faiblesse actuelle? Vous qui prйtendez que des bкtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades dйsespиrent, que des morts rкvent mal, tвchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler!
Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'йtait bien l'enfer; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.
Du mкme dйsert, а la mкme nuit, toujours mes yeux las se rйveillent а l'йtoile d'argent, toujours, sans que s'йmeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le coeur, l'вme, l'esprit. Quand irons-nous, par-delа les grиves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des dйmons, la fin de la superstition, adorer - les premiers! - Noлl sur la terre!
Le chant des cieux, la marche des peuples! Esclaves ne maudissons pas la vie.
Adieu
L'automne dйjа! - Mais pourquoi regretter un йternel soleil, si nous sommes engagйs а la dйcouverte de la clartй divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons.
L'automne. Notre barque йlevйe dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misиre, la citй йnorme au ciel tachй de feu et de boue. Ah! les haillons pourris, le pain trempй de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifiй! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'вmes et de corps morts et qui seront jugйs! Je me revois la peau rongйe par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, йtendu parmi les inconnus sans вge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse йvocation! J'exиcre la misиre.
Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du confort!
- Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai crйй toutes les fкtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayй d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquйrir des pouvoirs surnaturels. Eh bien! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportйe!
Moi! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensй de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir а chercher, et la rйalitй rugueuse а йtreindre! Paysan!
Suis-je trompй, la charitй serait-elle soeur de la mort, pour moi?
Enfin, je demanderai pardon pour m'кtre nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie! et oщ puiser le secours?
-----
Oui, l'heure nouvelle est au moins trиs sйvиre.
Car je puis dire que la victoire m'est acquise: les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestйs se modиrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets dйtalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriйrйs de toutes sortes. - Damnйs, si je me vengeais!
Il faut кtre absolument moderne.
Point de cantiques: tenir le pas gagnй. Dure nuit! le sang sйchй fume sur ma face, et je n'ai rien derriиre moi, que cet horrible arbrisseau!... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse rйelle. Et а l'aurore, armйs d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie! un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongиres, et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes lа-bas; - et il me sera loisible de possйder la vйritй dans une вme et un corps.
Avril-aoыt, 1873.
LES ILLUMINATIONS
Aprиs le dйluge
Aussitфt aprиs que l'idйe du Dйluge se fut rassise,
Un liиvre s'arrкta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa priиre а l'arc-en-ciel а travers la toile de l'araignйe.
Oh les pierres prйcieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient dйjа.
Dans la grande rue sale les йtals se dressиrent, et l'on tira les barques vers la mer йtagйe lа-haut comme sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, - aux abattoirs, - dans les cirques, oщ le sceau de Dieu blкmit les fenкtres. Le sang et le lait coulиrent.
Les castors bвtirent. Les "mazagrans" fumиrent dans les estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardиrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'йclatante giboulйe. Madame *** йtablit un piano dans les Alpes. La messe et les premiиres communions se cйlйbrиrent aux cent mille autels de la cathйdrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide Hфtel fut bвti dans le chaos de glaces et de nuit du pфle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les dйserts de thym, - et les йglogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'йtait le printemps.
- Sourds, йtang, - Ecume, roule sur le pont, et par-dessus les bois; - draps noirs et orgues, - йclairs et tonnerre, - montez et roulez; - Eaux et tristesses, montez et relevez les Dйluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipйs, - oh les pierres prйcieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes! - c'est un ennui! et la Reine, la Sorciиre qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
Enfance
I
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommйes, par des vagues sans vaisseaux, de noms fйrocement grecs, slaves, celtiques.
A la lisiиre de la forкt - les fleurs de rкve tintent, йclatent, йclairent, - la fille а lиvre d'orange, les genoux croisйs dans le clair dйluge qui sourd des prйs, nuditй qu'ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer; enfantes et gйantes, superbes, noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dйgelйs - jeunes mиres et grandes soeurs aux regards pleins de pиlerinages, sultanes, princesses de dйmarche et de costume tyranniques, petites йtrangиres et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, l'heure du "cher corps" et "cher coeur".
II
C'est elle, la petite morte, derriиre les rosiers. - La jeune maman trйpassйe descend le perron. - La calиche du cousin crie sur le sable. - Le petit frиre - (il est aux Indes) lа, devant le couchant, sur le prй d'oeillets. - Les vieux qu'on a enterrйs tout droits dans le remparts aux giroflйes.
L'essaim des feuilles d'or entoure la maison du gйnйral. Ils sont dans le midi. - On suit la route rouge pour arriver а l'auberge vide. Le chвteau est а vendre; les persiennes sont dйtachйes. - Le curй aura emportй la clef de l'йglise. - Autour du parc, les loges des gardes sont inhabitйes. Les palissades sont si hautes qu'on ne voit que les cimes bruissantes. D'ailleurs il n'y a rien а voir lа-dedans.
Les prйs remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. L'йcluse est levйe. O les calvaires et les moulins du dйsert, les оles et les meules.
Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berзaient. Des bкtes d'une йlйgance fabuleuse circulaient. Les nuйes s'amassaient sur la haute mer faite d'une йternitй de chaudes larmes.
III
Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrкte et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondriиre avec un nid de bкtes blanches.
Il y a une cathйdrale qui descend et un lac qui monte.
Il y a une petite voiture abandonnйe dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannйe.
Il y a une troupe de petits comйdiens en costumes, aperзus sur la route а travers la lisiиre du bois.
Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.
IV
Je suis le saint, en priиre sur la terrasse, - comme les bкtes pacifiques paissent jusqu'а la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent а la croisйe de la bibliothиque.
Je suis le piйton de la grand'route par les bois nains; la rumeur des йcluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mйlancolique lessive d'or du couchant.
Je serais bien l'enfant abandonnй sur la jetйe partie а la haute mer, le petit valet, suivant l'allйe dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont вpres. Les monticules se couvrent de genкts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin! Ce ne peut кtre que la fin du monde, en avanзant.
V
Qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi а la chaux avec les lignes du ciment en relief - trиs loin sous terre.
Je m'accoude а la table, la lampe йclaire trиs vivement ces journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intйrкt.
A une distance йnorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons s'implantent, les brumes s'assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin!
Moins haut, sont des йgouts. Aux cфtйs, rien que l'йpaisseur du globe. Peut-кtre les gouffres d'azur, des puits de feu. C'est peut-кtre sur ces plans que se rencontrent lunes et comиtes, mers et fables.
Aux heures d'amertume je m'imagine des boules de saphir, de mйtal. Je suis maоtre du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blкmirait-elle au coin de la voыte?
Conte
Un Prince йtait vexй de ne s'кtre employй jamais qu'а la perfection des gйnйrositйs vulgaires. Il prйvoyait d'йtonnantes rйvolutions de l'amour, et soupзonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrйmentйe de ciel et de luxe. Il voulait voir la vйritй, l'heure du dйsir et de la satisfaction essentiels. Que ce fыt ou non une aberration de piйtй, il voulut. Il possйdait au moins un assez large pouvoir humain.
Toutes les femmes qui l'avaient connu furent assassinйes. Quel saccage du jardin de la beautй! Sous le sabre, elles le bйnirent. Il n'en commanda point de nouvelles. - Les femmes rйapparurent.
Il tua tous ceux qui le suivaient, aprиs la chasse ou les libations. - Tous le suivaient.
Il s'amusa а йgorger les bкtes de luxe. Il fit flamber les palais. Il se ruait sur les gens et les taillait en piиces. - La foule, les toits d'or, les belles bкtes existaient encore.
Peut-on s'extasier dans la destruction, se rajeunir par la cruautй! Le peuple ne murmura pas. Personne n'offrit le concours de ses vues.
Un soir il galopait fiиrement. Un Gйnie apparut, d'une beautй ineffable, inavouable mкme. De sa physionomie et de son maintien ressortait la promesse d'un amour multiple et complexe! d'un bonheur indicible, insupportable mкme! Le Prince et le Gйnie s'anйantirent probablement dans la santй essentielle. Comment n'auraient-ils pas pu en mourir? Ensemble donc ils moururent.
Mais ce Prince dйcйda, dans son palais, а un вge ordinaire. Le Prince йtait le Gйnie. Le Gйnie йtait le Prince.
La musique savante manque а notre dйsir.
Parade
Des drфles trиs solides. Plusieurs ont exploitй vos mondes. Sans besoins, et peu pressйs de mettre en oeuvre leurs brillantes facultйs et leur expйrience de vos consciences. Quels hommes mыrs! Des yeux hйbйtйs а la faзon de la nuit d'йtй, rouges et noirs, tricolores, d'acier piquй d'йtoiles d'or; des faciиs dйformйs, plombйs, blкmis, incendiйs; des enrouements folвtres! La dйmarche cruelle des oripeaux! - Il y a quelques jeunes, - comment regarderaient-ils Chйrubin? - pourvus de voix effrayantes et quelques ressources dangereuses. On les envoie prendre du dos en ville, affublйs d'un luxe dйgoыtant.
O le plus violent Paradis de la grimace enragйe! Pas de comparaison avec vos Fakirs et les autres bouffonneries scйniques. Dans des costumes improvisйs avec le goыt du mauvais rкve ils jouent des complaintes, des tragйdies de malandrins et de demi-dieux spirituels comme l'histoire ou les religions ne l'ont jamais йtй. Chinois, Hottentos, bohйmiens, niais, hyиnes, Molochs, vieilles dйmences, dйmons sinistres, ils mкlent les tours populaires, maternels, avec les poses et les tendresses bestiales. Ils interprйteraient des piиces nouvelles et des chansons "bonnes filles". Maоtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes, et usent de la comйdie magnйtique. Les yeux flambent, le sang chante, les os s'йlargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers.
J'ai seul la clef de cette parade sauvage.
Antique
Gracieux fils de Pan! Autour de ton front couronnй de fleurettes et de baies tes yeux, des boules prйcieuses, remuent. Tachйes de lies brunes, tes joues se creusent. Tes crocs luisent. Ta poitrine ressemble а une cithare, des tintements circulent dans tes bras blonds. Ton coeur bat dans ce ventre oщ dort le double sexe. Promиne-toi, la nuit, en mouvant doucement cette cuisse, cette seconde cuisse et cette jambe de gauche.
Being beauteous
Devant une neige un вtre de Beautй de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourd font monter, s'йlargir et trembler comme un spectre ce corps adorй; des blessures йcarlates et noires йclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dйgagent autour de la Vision, sur le chantier. Et les frissons s'йlиvent et grondent, et la saveur forcenйe de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derriиre nous, lance sur notre mиre de beautй, - elle recule, elle se dresse. Oh! nos os sont revкtus d'un nouveau corps amoureux.
-----
O la face cendrйe, l'йcusson de crin, les bras de cristal! Le canon sur lequel je dois m'abattre а travers la mкlйe des arbres et de l'air lйger!
Vies
I
O les йnormes avenues du pays saint, les terrasses du temple! Qu'a-t-on fait du brahmane qui m'expliqua les Proverbes? D'alors, de lа-bas, je vois encore mкme les vieilles! Je me souviens des heures d'argent et de soleil vers les fleuves, la main de la campagne sur mon йpaule, et de nos caresses debout dans les plaines poivrйes. - Un envol de pigeons йcarlates tonne autour de ma pensйe - Exilй ici, j'ai eu une scиne oщ jouer les chefs-d'oeuvre dramatiques de toutes les littйratures. Je vous indiquerais les richesses inouпes. J'observe l'histoire des trйsors que vous trouvвtes. Je vois la suite! Ma sagesse est aussi dйdaignйe que le chaos. Qu'est mon nйant, auprиs de la stupeur qui vous attend?
II
Je suis un inventeur bien autrement mйritant que tous ceux qui m'ont prйcйdй; un musicien mкme, qui ai trouvй quelque chose comme la clef de l'amour. A prйsent, gentilhomme d'une campagne aigre au ciel sobre, j'essaye de m'йmouvoir au souvenir de l'enfance mendiante, de l'apprentissage ou de l'arrivйe en sabots, des polйmiques, des cinq ou six veuvages, et quelques noces oщ ma forte tкte m'empкcha de monter au diapason des camarades. Je ne regrette pas ma vieille part de gaоtй divine: l'air sobre de cette aigre campagne alimente fort activement mon atroce scepticisme. Mais comme ce scepticisme ne peut dйsormais кtre mis en oeuvre, et que d'ailleurs je suis dйvouй а un trouble nouveau, - j'attends de devenir un trиs mйchant fou.
III
Dans un grenier oщ je fus enfermй а douze ans j'ai connu le monde, j'ai illustrй la comйdie humaine. Dans un cellier j'ai appris l'histoire. A quelque fкte de nuit dans une citй du Nord, j'ai rencontrй toutes les femmes des anciens peintres. Dans un vieux passage а Paris on m'a enseignй les sciences classiques. Dans une magnifique demeure cernйe par l'Orient entier j'ai accompli mon immense oeuvre et passй mon illustre retraite. J'ai brassй mon sang. Mon devoir m'est remis. Il ne faut mкme plus songer а cela. Je suis rйellement d'outre-tombe, et pas de commissions.
Dйpart
Assez vu. La vision s'est rencontrйe а tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrкts de la vie. - O Rumeurs et Visions!
Dйpart dans l'affection et le bruit neufs!
Royautй
Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique. "Mes amis, je veux qu'elle soit reine!" "Je veux кtre reine!" Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de rйvйlation, d'йpreuve terminйe. Ils se pвmaient l'un contre l'autre.
En effet ils furent rois toute une matinйe oщ les tentures carminйes se relevиrent sur les maisons, et toute l'aprиs-midi, oщ ils s'avancиrent du cфtй des jardins de palmes.
A une Raison
Un coup de ton doigt sur le tambour dйcharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Un pas de toi, c'est la levйe des nouveaux hommes et leur en-marche.
Ta tкte se dйtourne: le nouvel amour! Ta tкte se retourne, - le nouvel amour!
"Change nos lots, crible les flйaux, а commencer par le temps", te chantent ces enfants. "Elиve n'importe oщ la substance de nos fortunes et de nos voeux" on t'en prie.
Arrivйe de toujours, qui t'en iras partout.
Matinйe d'ivresse
O mon Bien! O mon Beau! Fanfare atroce oщ je ne trйbuche point! chevalet fйerique! Hourra pour l'oeuvre inouпe et pour le corps merveilleux, pour la premiиre fois! Cela commenзa sous les rires des enfants, cela finira pas eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines mкme quand, la fanfare tournant, nous serons rendu а l'ancienne inharmonie. O maintenant, nous si digne de ces tortures! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite а notre corps et а notre вme crййs: cette promesse, cette dйmence! L'йlйgance, la science, la violence! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de dйporter les honnкtetйs tyranniques, afin que nous amenions notre trиs pur amour. Cela commenзa par quelques dйgoыts et cela finit, - ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette йternitй, - cela finit par une dйbandade de parfums.
Rires des enfants, discrйtion des esclaves, austйritй des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrйs soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commenзait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace.
Petite veille d'ivresse, sainte! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifiй. Nous t'affirmons, mйthode! Nous n'oublions pas que tu as glorifiй hier chacun de nos вges. nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entiиre tous les jours.
Voici le temps des ASSASSINS.
Phrases
Quand le monde sera rйduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux йtonnйs, - en une plage pour deux enfants fidиles, - en une maison musicale pour notre claire sympathie, - je vous trouverai.
Qu'il n'y ait ici-bas qu'un vieillard seul, calme et beau, entourй d'un "luxe inouп", - et je suis а vos genoux.
Que j'aie rйalisй tous vos souvenirs, - que je sois celle qui sait vous garrotter, - je vous йtoufferai.
-----
Quand nous somme trиs forts, - qui recule? trиs gais, qui tombe de ridicule? Quand nous sommes trиs mйchants, que ferait-on de nous?
Parez-vous, dansez, riez. - Je ne pourrai jamais envoyer l'Amour par la fenкtre.
-----
- Ma camarade, mendiante, enfant monstre! comme зa t'est йgal, ces malheureuses et ces manoeuvres, et mes embarras. Attache-toi а nous avec ta voix impossible, ta voix! unique flatteur de ce vil dйsespoir.
-----
Une matinйe couverte, en Juillet. Un goыt de cendres vole dans l'air; - une odeur de bois suant dans l'вtre, - les fleurs rouies, - le saccage des promenades, - la bruine des canaux par les champs - pourquoi pas dйjа les joujoux et l'encens?
-----
J'ai tendu des cordes de clocher а clocher; des guirlandes de fenкtre а fenкtre; des chaоnes d'or d'йtoile а йtoile, et je danse.
-----
Le haut йtang fume continuellement. Quelle sorciиre va se dresser sur le couchant blanc? Quelles violettes frondaisons vont descendre?
-----
Pendant que les fonds publics s'йcoulent en fкtes de fraternitй, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages.
-----
Avivant un agrйable goыt d'encre de Chine, une poudre noire pleut doucement sur ma veillйe. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et, tournй du cфtй de l'ombre, je vous vois, mes filles! mes reines!
Ouvriers
O cette chaude matinйe de fйvrier. Le Sud inopportun vint relever nos souvenirs d'indigents absurdes, notre jeune misиre.
Henrika avait une jupe de coton а carreau blanc et brun, qui a dы кtre portйe au siиcle dernier, un bonnet а rubans, et un foulard de soie. C'йtait bien plus triste qu'un deuil. Nous faisions un tour dans la banlieue. Le temps йtait couvert, et ce vent du Sud excitait toutes les vilaines odeurs des jardins ravagйs et des prйs dessйchйs.
Cela ne devait pas fatiguer ma femme au mкme point que moi. Dans une flache laissйe par l'inondation du mois prйcйdent а un sentier assez haut elle me fit remarquer de trиs petits poissons.
La ville, avec sa fumйe et ses bruits de mйtiers, nous suivait trиs loin dans les chemins. O l'autre monde, l'habitation bйnie par le ciel et les ombrages! Le sud me rappelait les misйrables incidents de mon enfance, mes dйsespoirs d'йtй, l'horrible quantitй de force et de science que le sort a toujours йloignйe de moi. Non! nous ne passerons pas l'йtй dans cet avare pays oщ nous ne serons jamais que des orphelins fiancйs. Je veux que ce bras durci ne traоne plus une chиre image.
Les ponts
Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-lа bombйs, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits йclairйs du canal, mais tous tellement longs et lйgers que les rives chargйes de dфmes s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargйs de masures. D'autres soutiennent des mвts, des signaux, de frкles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-кtre d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anйantit cette comйdie.
Ville
Je suis un йphйmиre et point trop mйcontent citoyen d'une mйtropole crue moderne parce que tout goыt connu a йtй йludй dans les ameublements et l'extйrieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont rйduites а leur plus simple expression, enfin! Ces millions de gens qui n'ont pas besoin de se connaоtre amиnent si pareillement l'йducation, le mйtier et la vieillesse, que ce cours de vie doit кtre plusieurs fois moins long que ce qu'une statistique folle trouve pour les peuples du continent. Aussi comme, de ma fenкtre, je vois des spectres nouveaux roulant а travers l'йpaisse et йternelle fumйe de charbon, - notre ombre des bois, notre nuit d'йtй! - des Erinnyes nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon coeur puisque tout ici ressemble а ceci, - la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, et un Amour dйsespйrй, et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue.
Orniиres
A droite l'aube d'йtй йveille les feuilles et les vapeurs et les bruits de ce coin du parc, et les talus de gauche tiennent dans leur ombre violette les mille rapides orniиres de la route humide. Dйfilй de fйeries. En effet: des chars chargйs d'animaux de bois dorй, de mвts et de toiles bariolйes, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetйs, et les enfants et les hommes sur leurs bкtes les plus йtonnantes; - vingt vйhicules, bossйs, pavoisйs et fleuris comme des carrosses anciens ou de contes, pleins d'enfants attifйs pour une pastorale suburbaine. Mкme des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d'йbиne, filant au trot des grandes juments bleues et noires.
Villes
Ce sont des villes! C'est un peuple pour qui se sont montйs ces Alleghanys et ces Libans de rкve! Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. Les vieux cratиres ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mйlodieusement dans les feux. Des fкtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derriиre les chalets. La chasse des carillons crie dans les gorges. Des corporations de chanteurs gйants accourent dans des vкtements et des oriflammes йclatants comme la lumiиre des cimes. Sur les plates-formes au milieu des gouffres les Rolands sonnent leur bravoure. Sur les passerelles de l'abоme et les toits des auberges l'ardeur du ciel pavoise les mвts. L'йcroulement des apothйoses rejoint les champs des hauteurs oщ les centauresses sйraphiques йvoluent parmi les avalanches. Au-dessus du niveau des plus hautes crкtes une mer troublйe par la naissance йternelle de Vйnus, chargйe de flottes orphйoniques et de la rumeur des perles et des conques prйcieuses, - la mer s'assombrit parfois avec des йclats mortels. Sur les versants des moissons de fleurs grandes comme nos armes et nos coupes, mugissent. Des cortиges de Mabs en robes rousses, opalines, montent des ravines. Lа-haut, les pieds dans la cascade et les ronces, les cerfs tettent Diane. Les Bacchantes des banlieues sanglotent et la lune brыle et hurle. Vйnus entre dans les cavernes des forgerons et des ermites. Des groupes de beffrois chantent les idйes des peuples. Des chвteaux bвtis en os sort la musique inconnue. Toutes les lйgendes йvoluent et les йlans se ruent dans les bourgs. Le paradis des orages s'effondre. Les sauvages dansent sans cesse la fкte de la nuit. Et une heure je suis descendu dans le mouvement d'un boulevard de Bagdad oщ des compagnies ont chantй la joie du travail nouveau, sous une brise йpaisse, circulant sans pouvoir йluder les fabuleux fantфmes des monts oщ l'on a dы se retrouver.
Quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette rйgion d'oщ viennent mes sommeils et mes moindres mouvements?
Vagabonds
Pitoyable frиre! Que d'atroces veillйes je lui dus! "Je ne me saisissais pas fervemment de cette entreprise. Je m'йtais jouй de son infirmitй. Par ma faute nous retournerions en exil, en esclavage." Il me supposait un guignon et une innocence trиs bizarres, et il ajoutait des raisons inquiйtantes.
Je rйpondais en ricanant а ce satanique docteur, et finissais par gagner la fenкtre. Je crйais, par delа la campagne traversйe par des bandes de musique rare, les fantфmes du futur luxe nocturne.
Aprиs cette distraction vaguement hygiйnique, je m'йtendais sur une paillasse. Et, presque chaque nuit, aussitфt endormi, le pauvre frиre se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachйs, - tel qu'il se rкvait! - et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.
J'avais en effet, en toute sincйritй d'esprit, pris l'engagement de le rendre а son йtat primitif de fils du soleil, - et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressй de trouver le lieu et la formule.
Villes
L'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. Impossible d'exprimer le jour mat produit par le ciel immuablement gris, l'йclat impйrial des bвtisses, et la neige йternelle du sol. On a reproduit dans un goыt d'йnormitй singulier toutes les merveilles classiques de l'architecture. J'assiste а des expositions de peinture dans les locaux vingt fois plus vastes qu'Hampton-Court. Quelle peinture! Un Nabuchodonosor norvйgien a fait construire les escaliers des ministиres; les subalternes que j'ai pu voir sont dйjа plus fiers que des Brahmas et j'ai tremblй а l'aspect de colosses des gardiens et officiers de constructions. Par le groupement des bвtiments en squares, cours et terrasses fermйes, on a йvincй les clochers. Les parcs reprйsentent la nature primitive travaillйe par un art superbe. Le haut quartier a des parties inexplicables: un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grйsil bleu entre des quais chargйs de candйlabres gйants. Un pont court conduit а une poterne immйdiatement sous le dфme de la Sainte-Chapelle. Ce dфme est une armature d'acier artistique de quinze mille pieds de diamиtre environ.
Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j'ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville! C'est le prodige dont je n'ai pu me rendre compte: quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l'acropole? Pour l'йtranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerзant est un circus d'un seul style, avec galeries а arcades. On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de la chaussйe est йcrasйe; quelques nababs aussi rares que les promeneurs d'un matin de dimanche а Londres, se dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge: on sert des boissons polaires dont le prix varie de huit cents а huit mille roupies. A l'idйe de chercher des thйвtres sur ce circus, je me rйponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres. Je pense qu'il y a une police, mais la loi doit кtre tellement йtrange, que je renonce а me faire une idйe des aventuriers d'ici.
Le faubourg aussi йlйgant qu'une belle rue de Paris est favorisй d'un air de lumiиre. L'йlйment dйmocratique compte quelque cent вmes. Lа encore les maisons ne se suivent pas; le faubourg se perd bizarrement dans la campagne, le "Comtй" qui remplit l'occident йternel des forкts et des plantations prodigieuses oщ les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumiиre qu'on a crййe.
Veillйes
I
C'est le repos йclairй, ni fiиvre ni langueur, sur le lit ou sur le prй.
C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami.
C'est l'aimйe ni tourmentante ni tourmentйe. L'aimйe.
L'air et le monde point cherchйs. La vie.
- Etait-ce donc ceci?
- Et le rкve fraоchit.
II
L'йclairage revient а l'arbre de bвtisse. Des deux extrйmitйs de la salle, dйcors quelconques, des йlйvations harmoniques se joignent. La muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes de frises, de bandes atmosphйriques et d'accidences gйologiques. - Rкve intense et rapide de groupes sentimentaux avec des кtres de tous les caractиres parmi toutes les apparences.
III
Les lampes et les tapis de la veillйe font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage.
La mer de la veillйe, telle que les seins d'Amйlie.
Les tapisseries, jusqu'а mi-hauteur, des taillis de dentelle, teinte d'йmeraude, oщ se jettent les tourterelles de la veillйe.
....
La plaque du foyer noir, de rйels soleils des grиves: ah! puits des magies; seule vue d'aurore, cette fois.
Mystique
Sur la pente du talus les anges tournent leurs robes de laine dans les herbages d'acier et d'йmeraude.
Des prйs de flammes bondissent jusqu'au sommet du mamelon. A gauche le terreau de l'arкte est piйtinй par tous les homicides et toutes les batailles, et tous les bruits dйsastreux filent leur courbe. Derriиre l'arкte de droite la ligne des orients, des progrиs.
Et tandis que la bande en haut du tableau est formйe de la rumeur tournante et bondissante des conques des mers et des nuits humaines.
La douceur fleurie des йtoiles et du ciel et du reste descend en face du talus comme un panier, contre notre face, et fait l'abоme fleurant et bleu lа-dessous.
Aube
J'ai embrassй l'aube d'йtй.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau йtait morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marchй, rйveillant les haleines vives et tiиdes, et les pierreries regardиrent, et les ailes se levиrent sans bruit.
La premiиre entreprise fut, dans le sentier dйjа empli de frais et blкmes йclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'йchevela а travers les sapins: а la cime argentйe je reconnus la dйesse.
Alors je levai un а un les voiles. Dans l'allйe, en agitant les bras. Par la plaine, oщ je l'ai dйnoncйe au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dфmes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, prиs d'un bois de lauriers, je l'ai entourйe avec ses voiles amassйs, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombиrent au bas du bois.
Au rйveil il йtait midi.
Fleurs
D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, - je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures.
Des piиces d'or jaune semйes sur l'agate, des piliers d'acajou supportant un dфme d'йmeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d'eau.
Tels qu'un dieu aux йnormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.
Nocturne vulgaire
Un souffle ouvre des brиches opйradiques dans les cloisons, - brouille le pivotement des toits rongйs, - disperse les limites des foyers, - йclipse les croisйes. - Le long de la vigne, m'йtant appuyй du pied а une gargouille, - je suis descendu dans ce carrosse dont l'йpoque est assez indiquйe par les glaces convexes, les panneaux bombйs et les sophas contournйs - Corbillard de mon sommeil, isolй, maison de berger de ma niaiserie, le vйhicule vire sur le gazon de la grande route effacйe; et dans un dйfaut en haut de la glace de droite tournoient les blкmes figures lunaires, feuilles, seins. - Un vert et un bleu trиs foncйs envahissent l'image. Dйtelage aux environs d'une tache de gravier.
- Ici, va-t-on siffler pour l'orage, et les Sodomes, - et les Solymes, - et les bкtes fйroces et les armйes, - (Postillon et bкtes de songe reprendront-ils sous les plus suffocantes futaies, pour m'enfoncer jusqu'aux yeux dans la source de soie).
- Et nous envoyer, fouettйs а travers les eaux clapotantes et les boissons rйpandues, rouler sur l'aboi des dogues...
- Un souffle disperse les limites du foyer.
Marine
Les chars d'argent et de cuivre -
Les proues d'acier et d'argent -
Battent l'йcume, -
Soulиvent les souches des ronces -
Les courants de la lande,
Et les orniиres immenses du reflux,
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forкt, -
Vers les fыts de la jetйe,
Dont l'angle est heurtй par des
tourbillons de lumiиre.
Fкte d'hiver
La cascade sonne derriиre les huttes d'opйra-comique. Des girandoles prolongent, dans les vergers et les allйes voisins du Mйandre, - les verts et les rouges du couchant. Nymphes d'Horace coiffйes au Premier Empire, - Rondes Sibйriennes, Chinoises de Boucher.
Angoisse
Se peut-il qu'Elle me fasse pardonner les ambitions continuellement йcrasйes, - qu'une fin aisйe rйpare les вges d'indigence, - qu'un jour de succиs nous endorme sur la honte de notre inhabiletй fatale.
( O palmes! diamant! - Amour, force! - plus haut que toutes joies et gloires! - de toutes faзons, partout, - Dйmon, dieu, - Jeunesse de cet кtre-ci; moi ! )
Que des accidents de fйerie scientifique et des mouvements de fraternitй sociale soient chйris comme restitution progressive de la franchises premiиre?...
Mais la Vampire qui nous rend gentils commande que nous nous amusions avec ce qu'elle nous laisse, ou qu'autrement nous soyons plus drфles.
Rouler aux blessures, par l'air lassant et la mer: aux supplices, par le silence des eaux et de l'air meurtriers; aux tortures qui rient, dans leur silence atrocement houleux.
Mйtropolitain
Du dйtroit d'indigo aux mers d'Ossian, sur le sable rose et orange qu'a lavй le ciel vineux viennent de monter et de se croiser des boulevards de cristal habitйs incontinent par de jeunes famille pauvres qui s'alimentent chez les fruitiers. Rien de riche. - La ville !
Du dйsert de bitume fuient droit en dйroute avec les nappes de brumes йchelonnйes en bandes affreuses au ciel qui se recourbe, se recule et descend, formй de la plus sinistre fumйe noire qui puisse faire l'Ocйan en deuil, les casques, les roues, les barques, les croupes. - La bataille !
Lиve la tкte: ce pont de bois, arquй; les derniers potagers de Samarie; ces masques enluminйs sous la lanterne fouettйe par la nuit froide; l'ondine niaise а la robe bruyante, au bas de la riviиre: les crвnes lumineux dans les plants de pois - et les autres fantasmagories - La campagne.
Des routes bordйes de grilles et de murs, contenant а peine leurs bosquets, et les atroces fleurs qu'on appellerait coeurs et soeurs, Damas damnant de longueur, - possessions de fйeriques aristocraties ultra-Rhйnanes, Japonaises, Guaranies, propres encore а recevoir la musique des anciens - et il y a des auberges qui pour toujours n'ouvrent dйjа plus - il y a des princesses, et si tu n'es pas trop accablй, l'йtude des astres - Le ciel.
Le matin oщ avec Elle, vous vous dйbattоtes parmi les йclats de neige, les lиvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pфles, - ta force.
Barbare
Bien aprиs les jours et les saisons, et les кtres et les pays,
Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques; (elles n'existent pas. )
Remis des vieilles fanfares d'hйroпsme - qui nous attaquent encore le coeur et la tкte - loin des anciens assassins -
Oh! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques: (elles n'existent pas)
Douceurs !
Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre, - Douceurs! - les feux а la pluie du vent de diamants jetйe par le coeur terrestre йternellement carbonisй pour nous. - O monde! -
(Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, qu'on entend, qu'on sent,)
Les brasiers et les йcumes. La musique, virement des gouffres et choc des glaзons aux astres.
O Douceurs, ф monde, ф musique! Et lа, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, - ф douceurs! - et la voix fйminine arrivйe au fond des volcans et des grottes arctiques.
Le pavillon...
Solde
A vendre ce que les Juifs n'ont pas vendu, ce que noblesse ni crime n'ont goыtй, ce qu'ignorent l'amour maudit et la probitй infernale des masses: ce que le temps ni la science n'ont pas а reconnaоtre:
Les voix reconstituйes; l'йveil fraternel de toutes les йnergies chorales et orchestrales et leurs applications instantanйes; l'occasion, unique, de dйgager nos sens!
A vendre les Corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout sexe, de toute descendance! Les richesses jaillissant а chaque dйmarche! Solde de diamants sans contrфle!
A vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction irrйpressible pour les amateurs supйrieurs; la mort atroce pour les fidиles et les amants!
A vendre les habitations et les migrations, sports, fйeries et comforts parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font!
A vendre les applications de calcul et les sauts d'harmonie inouпs. Les trouvailles et les termes non soupзonnйs, possession immйdiate,
Elan insensй et infini aux splendeurs invisibles, aux dйlices insensibles, - et ses secrets affolants pour chaque vice - et sa gaоtй effrayante pour la foule -
A vendre les Corps, les voix, l'immense opulence inquestionable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas а bout de solde! Les voyageurs n'ont pas а rendre leur commission de si tфt!
Fairy
Pour Hйlиne se conjurиrent les sиves ornamentales dans les ombres vierges et les clartйs impassibles dans le silence astral. L'ardeur de l'йtй fut confiйe а des oiseaux muets et l'indolence requise а une barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums affaissйs.
- Aprиs le moment de l'air des bыcheronnes а la rumeur du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux а l'йcho des vals, et des cris des steppes. -
Pour l'enfance d'Hйlиne frissonnиrent les fourrures et les ombres - et le sein des pauvres, et les lйgendes du ciel.
Et ses yeux et sa danse supйrieurs encore aux йclats prйcieux, aux influences froides, au plaisir du dйcor et de l'heure uniques.
Guerre
Enfant, certains ciels ont affinй mon optique: tous les caractиres nuancиrent ma physionomie. Les Phйnomиnes s'йmurent. - A prйsent, l'inflexion йternelle des moments et l'infini des mathйmatiques me chassent par ce monde oщ je subis tous les succиs civils, respectй de l'enfance йtrange et des affections йnormes. - Je songe а une Guerre de droit ou de force, de logique bien imprйvue.
C'est aussi simple qu'une phrase musicale.
Jeunesse
I
Dimanche
Les calculs de cфtй, l'inйvitable descente du ciel et la visite des souvenirs et la sйance des rythmes occupent la demeure, la tкte et le monde de l'esprit.
- Un cheval dйtale sur le turf suburbain, et le long des cultures et des boisements, percй par la peste carbonique. Une misйrable femme de drame, quelque part dans le monde, soupire aprиs des abandons improbables. Les desperadoes languissent aprиs l'orage, l'ivresse et les blessures. De petits enfants йtouffent des malйdictions le long des riviиres. -
Reprenons l'йtude au bruit de l'oeuvre dйvorante qui se rassemble et remonte dans les masses.
II
Sonnet
Homme de constitution ordinaire, la chair
n'йtait-elle pas un fruit pendu dans le verger; - ф
journйes enfantes! - le corps un trйsor а prodiguer; - ф
aimer, le pйril ou la force de Psychй? La terre
avait des versants fertiles en princes et en artistes
et la descendance et la race vous poussaient aux
crimes et aux deuils: le monde votre fortune et votre
pйril. Mais а prйsent, ce labeur comblй, - toi, tes calculs,
- toi, tes impatiences - ne sont plus que votre danse et
votre voix, non fixйes et point forcйes, quoique d'un double
йvйnement d'invention et de succиs une raison,
- en l'humanitй fraternelle et discrиte par l'univers,
sans images; - la force et le droit rйflйchissent la
danse et la voix а prйsent seulement apprйciйes.
III
Vingt ans
Les voix instructives exilйes... L'ingйnuitй physique amиrement rassise... - Adagio - Ah! l'йgoпsme infini de l'adolescence, l'optimisme studieux: que le monde йtait plein de fleurs cet
йtй! Les airs et les formes mourant... - Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence! Un choeur de verres, de mйlodies nocturnes... En effet les nerfs vont vite chasser.
IV
Tu es encore а la tentation d'Antoine. L'йbat du zиle йcourtй, les tics d'orgueil puйril, l'affaissement et l'effroi.
Mais tu te mettras а ce travail: toutes les possibilitйs harmoniques et architecturales s'йmouvront autour de ton siиge. Des кtres parfaits, imprйvus, s'offriront а tes expйriences. Dans tes environs affluera rкveusement la curiositй d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mйmoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion crйatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des apparences actuelles.
Promontoire
L'aube d'or et la soirйe frissonnante trouvent notre brick en large en face de cette villa et de ses dйpendances, qui forment un promontoire aussi йtendu que l'Epire et le Pйloponnиse, ou que la grande оle du Japon, ou que l'Arabie! Des fanums qu'йclaire la rentrйe des thйories, d'immenses vues de la dйfense des cфtes modernes; des dunes illustrйes de chaudes fleurs et de bacchanales; de grands canaux de Carthage et des Embankments d'une Venise louche; de molles йruptions d'Etnas et des crevasses de fleurs et d'eaux des glaciers; des lavoirs entourйs de peupliers d'Allemagne; des talus de parcs singuliers pendant des tкtes d'Arbre du Japon; les faзades circulaires des "Royal" ou des "Grand" de Scarbro ou de Brooklyn; et leurs railways flanquent, creusent, surplombent les dispositions de cet Hфtel, choisies dans l'histoire des plus йlйgantes et des plus colossales constructions de l'Italie, de l'Amйrique et de l'Asie, dont les fenкtres et les terrasses а prйsent pleines d'йclairages, de boissons et de brises riches, sont ouvertes а l'esprit des voyageurs et des nobles - qui permettent, aux heures du jour, а toutes les tarentelles des cфtes, - et mкme aux ritournelles des vallйes illustres de l'art, de dйcorer merveilleusement les faзades du Palais-Promontoire.
Scиnes
L'ancienne Comйdie poursuit ses accords et divise ses Idylles:
Des boulevards de trйteaux.
Un long pier en bois d'un bout а l'autre d'un champ rocailleux oщ la foule barbare йvolue sous les arbres dйpouillйs.
Dans des corridors de gaze noire suivant le pas des promeneurs aux lanternes et aux feuilles.
Des oiseaux de mystиres s'abattent sur un ponton de maзonnerie mы par l'archipel couvert des embarcations des spectateurs.
Des scиnes lyriques accompagnйes de flыte et de tambour s'inclinent dans des rйduits mйnagйs sous les plafonds, autour des salons de clubs modernes ou des salles de l'Orient ancien.
La fйerie manoeuvre au sommet d'un amphithйвtre couronnй par les taillis, - ou s'agite et module pour les Bйotiens, dans l'ombre des futaies mouvantes sur l'arкte des cultures.
L'opйra-comique se divise sur une scиne а l'arкte d'intersection de dix cloisons dressйes de la galerie aux feux.
Soir historique
En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naпf, retirй de nos horreurs йconomiques, la main d'un maоtre anime le clavecin des prйs; on joue aux cartes au fond de l'йtang, miroir йvocateur des reines et des mignonnes, on a les saintes, les voiles, et les fils d'harmonie, et les chromatismes lйgendaires, sur le couchant.
Il frissonne au passage des chasses et des hordes. La comйdie goыte sur les trйteaux de gazon. Et l'embarras des pauvres et des faibles sur ces plans stupides!
A sa vision esclave, - l'Allemagne s'йchafaude vers des lunes; les dйserts tartares s'йclairent - les rйvoltes anciennes grouillent dans le centre du Cйleste Empire; par les escaliers et les fauteuils de rois, un petit monde blкme et plat, Afrique et Occidents, va s'йdifier. Puis un ballet de mers et de nuits connues, une chimie sans valeur, et des mйlodies impossibles.
La mкme magie bourgeoise а tous les points oщ la malle nous dйposera! Le plus йlйmentaire physicien sent qu'il n'est plus possible de se soumettre а cette atmosphиre personnelle, brume de remords physiques, dont la constatation est dйjа une affliction.
Non! - Le moment de l'йtuve, des mers enlevйes, des embrasements souterrains, de la planиte emportйe, et des exterminations consйquentes, certitudes si peu malignement indiquйes dans la Bible et par les Nornes et qu'il sera donnй а l'кtre sйrieux de surveiller. - Cependant ce ne sera point un effet de lйgende!
Bottom
La rйalitй йtant trop йpineuse pour mon grand caractиre, - je me trouvai nйanmoins chez ma dame, en gros oiseau gris bleu s'essorant vers les moulures du plafond et traоnant l'aile dans les ombres de la soirйe.
Je fus, au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorйs et ses chefs-d'oeuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil chenu de chagrin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles.
Tout se fait ombre et aquarium ardent.
Au matin, - aube de juin batailleuse, - je courus aux champs, вne, claironnant et brandissant mon grief, jusqu'а ce que les Sabines de la banlieue vinrent se jeter а mon poitrail.
H
Toutes les monstruositйs violent les gestes atroces d'Hortense. Sa solitude est la mйcanique йrotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d'une enfance elle a йtй, а des йpoques nombreuses, l'ardente hygiиne des races. Sa porte est ouverte а la misиre. Lа, la moralitй des кtres actuels se dйcorpore en sa passion ou en son action. - O terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l'hydrogиne clarteux! trouvez Hortense.
Mouvement
Le mouvement de lacet sur la berge des chutes du fleuve,
Le gouffre а l'йtambot,
La cйlйritй de la rampe,
L'йnorme passade du courant
Mиnent par les lumiиres inouпes
Et la nouveautй chimique
Les voyageurs entourйs des trombes du val
Et du strom.
Ce sont les conquйrants du monde
Cherchant la fortune chimique personnelle;
Le sport et le comfort voyagent avec eux;
Ils emmиnent l'йducation
Des races, des classes et des bкtes, sur ce Vaisseau
Repos et vertige
A la lumiиre diluvienne,
Aux terribles soirs d'йtude.
Car de la causerie parmi les appareils, - le sang, les fleurs, le feu, les bijoux -
Des comptes agitйs а ce bord fuyard,
- On voit, roulant comme une digue au-delа de la route hydraulique motrice,
Monstrueux, s'йclairant sans fin, - leur stock d'йtudes; -
Eux chassйs dans l'extase harmonique,
Et l'hйroпsme de la dйcouverte.
Aux accidents atmosphйriques les plus surprenants
Un couple de jeunesse s'isole sur l'arche,
- Est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne? -
Et chante et se poste.
Dйvotion
A ma soeur Louise Vanaen de Voringhem: - Sa cornette bleue tournйe а la mer du Nord. - Pour les naufragйs.
A ma soeur Lйonie Aubois d'Ashby. Baou. - l'herbe d'йtй bourdonnante et puante. - Pour la fiиvre des mиres et des enfants.
A Lulu, - dйmon - qui a conservй un goыt pour les oratoires du temps des Amies et de son йducation incomplиte. Pour les hommes! A madame ***.
A l'adolescent que je fus. A ce saint vieillard, ermitage ou mission.
A l'esprit des pauvres. Et а un trиs haut clergй.
Aussi bien а tout culte en telle place de culte mйmorial et parmi tels йvйnements qu'il faille se rendre, suivant les aspirations du moment ou bien notre propre vice sйrieux.
Ce soir а Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminйe comme les dix mois de la nuit rouge, - (son coeur ambre et spunk), - pour ma seule priиre muette comme ces rйgions de nuit et prйcйdant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.
A tout prix et avec tous les airs, mкme dans les voyages mйtaphysiques. - Mais plus alors.
Dйmocratie
"Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois йtouffe le tambour.
"Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les rйvoltes logiques.
"Aux pays poivrйs et dйtrempйs! - au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.
"Au revoir ici, n'importe oщ. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie fйroce; ignorants pour la science, rouйs pour le confort; la crevaison pour le monde qui va. C'est la vraie marche. En avant, route!"
Gйnie
Il est l'affection et le prйsent puisqu'il a fait la maison ouverte а l'hiver йcumeux et а la rumeur de l'йtй, lui qui a purifiй les boissons et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyants et le dйlice surhumain des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempкte et les drapeaux d'extase.
Il est l'amour, mesure parfaite et rйinventйe, raison merveilleuses et imprйvue, et l'йternitй: machine aimйe des qualitйs fatales. Nous avons tous eu l'йpouvante de sa concession et de la nфtre: ф jouissance de notre santй, йlan de nos facultйs, affection йgoпste et passion pour lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie...
Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, sonne, sa promesse sonne: "Arriиre ces superstitions, ces anciens corps, ces mйnages et ces вges. C'est cette йpoque-ci qui a sombrй!"
Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas la rйdemption des colиres de femmes et des gaоtйs des hommes et de tout ce pкchй: car c'est fait, lui йtant, et йtant aimй.
O ses souffles, ses tкtes, ses courses; la terrible cйlйritй de la perfection des formes et de l'action.
O fйconditй de l'esprit et immensitй de l'univers!
Son corps! le dйgagement rкvй, le brisement de la grвce croisйe de violence nouvelle!
Sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les peines relevйs а sa suite.
Son jour! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.
Son pas! les migrations plus йnormes que les anciennes invasions.
O lui et nous! l'orgueil plus bienveillant que les charitйs perdues.
O monde! et le chant clair des malheurs nouveaux!
Il nous a connus tous et nous a tous aimйs. Sachons, cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pфle tumultueux au chвteau, de la foule а la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le hйler et le voir, et le renvoyer, et sous les marйes et au haut des dйserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.
ALBUM ZUTIQUE
Conneries
Cocher ivre
Pouacre
Boit:
Nacre
Voit:
Acre
Loi,
Fiacre
Choit!
Femme
Tombe,
Lombe
Saigne:
Clame!
Geigne.
ARTHUR RIMBAUD
Jeune goinfre
Casquette,
De moire,
Quйquette
D'ivoire,
Toilette
Trиs noire,
Paul guette
L'armoire,
Projette
Languette
Sur poire,
S'apprкte,
Baguette,
Et foire.
ARTHUR RIMAUD
Paris
Al. Godillot, Gambier,
Galopeau, Wolf-Pleyel,
- O Robinets! - Menier,
- O Christs! - Leperdriel!
Kinck, Jacob, Bonbonnel!
Veuillot, Tropmann, Augier!
Gill, Mendиs, Manuel,
Guido Gonin! - Panier
Des Grвces! L'Hйrissй!
Cirages onctueux!
Pains vieux, spiritueux!
Aveugles! - puis, qui sait? -
Sergents de ville, Enghiens
Chez soi. - Soyons chrйtiens!
ARTHUR RIMBAUD
Vieux de la vieille
Aux paysans de l'empereur!
A l'empereur des paysans!
Au fils de Mars,
Au glorieux 18 mars!
Oщ le ciel d'Eugйnie a bйni les entrailles!
Les lиvres closes
Vu а Rome
Il est, а Rome, а la Sixtine,
Couverte d'emblиmes chrйtiens,
Une cassette йcarlatine
Oщ sиchent des nez fort anciens:
Nez d'ascиtes de Thйbaпde,
Nez de chanoines du Saint Graal
Oщ se figea la nuit livide,
Et l'ancien plain-chant sйpulcral.
Dans leur sйcheresse mystique,
Tous les matins, on introduit
De l'immondice schismatique
Qu'en poudre fine on a rйduit.
LEON DIERX.
ARTHUR RIMBAUD
Fкte galante
Rкveur, Scapin
Gratte un lapin
Sous sa capote.
Colombina
- Que l'on pina! -
- Do, mi, - tapote
L'oeil du lapin
Qui tфt, tapin,
Est en ribote...
PAUL VERLAINE
ARTHUR RIMBAUD
L'angelot maudit
Toits bleuвtres et portes blanches
Comme en de nocturnes dimanches,
Au bout de la ville, sans bruit
La Rue est blanche, et c'est la nuit.
La Rue a des maisons йtranges
Avec des persiennes d'Anges.
Mais, vers une borne, voici
Accourir, mauvais et transi,
Un noir Angelot qui titube,
Ayant mangй trop de jujube.
Il fait caca: puis disparaоt:
Mais son caca maudit paraоt,
Sous la lune sainte qui vaque,
De sang noir un lйger cloaque.
LOUIS RATISBONNE.
ARTHUR RIMBAUD
Lys
O balanзoire! O lys! Clysopompes d'argent!
Dйdaigneux des travaux, dйdaigneux des famines!
L'aurore vous emplit d'un amour dйtergent!
Une douceur de ciel beurre vos йtamines!
ARMAND SILVESTRE
ARTHUR RIMBAUD
L'humanitй...
L'humanitй chaussait le vaste enfant Progrиs.
LOUIS-XAVIER DE RICARD.
ARTHUR RIMBAUD
Remembrances du vieillard idiot

Pardon, mon pиre!
Jeune, aux foire de campagne,
Je cherchais, non le tir banal oщ tout coup gagne,
Mais l'endroit plein de cris oщ les вnes, le flanc
Fatiguй, dйployaient ce long tube sanglant
Que je ne comprends pas encore!...
Et puis ma mиre,
Dont la chemise avait une senteur amиre
Quoique fripйe au bas et jaune comme un fruit,
Ma mиre qui montait au lit avec un bruit
- Fils du travail pourtant, - ma mиre, avec sa cuisse
De femme mыre, avec ses reins trиs gros oщ plisse
Le linge, me donna ces chaleurs que l'on tait!...
Une honte plus crue et plus calme, c'йtait
Quand ma petite soeur, au retour de la classe,
Ayant usй longtemps ses sabots sur la glace,
Pissait, et regardait s'йchapper de sa lиvre
D'en bas, serrйe et rose, un fil d'urine miиvre!...
O pardon!
Je songeais а mon pиre parfois:
Le soir, le jeu de cartes et les mots plus grivois,
Le voisin, et moi qu'on йcartait, choses vues...
- Car un pиre est troublant! - et les choses conзues!...
Son genou, cвlineur parfois; son pantalon
Dont mon doigt dйsirait ouvrir la fente... - Oh! non! -
Pour avoir le bout gros, noir et dur de mon pиre,
Dont la pileuse main me berзait!...
Je veux taire
Le pot, l'assiette а manche, entrevue au grenier,
Les almanachs couverts en rouge, et le panier
De charpie, et la Bible, et les lieux, et la bonne,
La Sainte-Vierge et le crucifix...
Oh! personne
Ne fut si frйquemment troublй, comme йtonnй!
Et maintenant, que le pardon me soit donnй:
Puisque les sens infects m'ont mis de leurs victimes,
Je me confesse de l'aveu des jeunes crimes!...
.............
Puis!... qu'il me soit permis de parler au Seigneur! -
Pourquoi la pubertй tardive et le malheur
Du gland tenace et trop consultй? Pourquoi l'ombre
Si lente au bas ventre? et ces terreurs sans nombre
Comblant toujours la joie ainsi qu'un gravier noir?
- Moi j'ai toujours йtй stupйfait! Quoi savoir?
..................................................................................
Pardonnй?...
Reprenez la chanceliиre bleue,
Mon pиre.
O cette enfance!........
.....................................................................................
- et tirons-nous la queue!
FRANCOIS COPPEE
ARTHUR RIMBAUD
Vieux Coppйes
Les soirs d'йtй...
Les soirs d'йtй, sous l'oeil ardent des devantures,
Quand la sиve frйmit sous les grilles obscures
Irradiant au pied des grкles marronniers,
Hors de ces groupes noirs, joyeux ou casaniers,
Suceurs de brыle-gueule ou baiseurs du cigare,
Dans le kiosque mi-pierre йtroit oщ je m'йgare,
- Tandis qu'en haut rougeoie une annonce d'Ibled, -
Je songe que l'hiver figera le Tibet
D'eau propre qui bruit apaisant l'onde humaine,
- Et que l'вpre aquilon n'йpargne aucune veine.
FRANCOIS COPPEE.
ARTHUR RIMBAUD
Aux livres de chevet...
Aux livres de chevet, livres de l'art serein.
Obermann et Genlis, Vert-Vert et le Lutrin,
Blasй de nouveautй grisвtre et saugrenue,
J'espиre, la vieillesse йtant enfin venue,
Ajouter le traitй du Docteur Venetti.
Je saurai, revenu du public abкti,
Goыter le charme ancien des dessins nйcessaires.
Ecrivain et graveur ont dorй les misиres
Sexuelles, et c'est, n'est-ce pas, cordial:
DR VENETTI, Traitй de l'Amour conjugal.
FRANCOIS COPPEE,ARTHUR RIMBAUD
J'occupais un wagon de troisiиme...
J'occupais un wagon de troisiиme; un vieux prкtre
Sortit un brыle-gueule et mit а la fenкtre,
Vers les brises, son front trиs calme aux poils pвlis.
Puis ce chrйtien, bravant les brocards impolis,
S'йtant tournй, me fit la demande йnergique
Et triste en mкme temps d'une petite chique
De caporal, - ayant йtй l'aumonier-chef
D'un rejeton royal condamnй derechef; -
Pour malaxer l'ennui d'un tunnel, sombre veine
Qui s'offre aux voyageurs, prиs Soissons, ville d'Aisne.
Je prйfиre sans doute, au printemps, la guinguette
Oщ des marronniers nains bourgeonne la baguette,
Vers la prairie йtroite et communale, au mois
De mai. Des jeunes chiens rabrouйs bien des fois
Viennent prиs des Buveurs triturer des jacinthes
De plate-bande. Et c'est, jusqu'aux soirs d'hyacinthe,
Sur la table d'ardoise oщ, l'an dix-sept cent vingt,
Un diacre grava son sobriquet latin
Maigre comme une prose а des vitraux d'йglise,
La toux des flacons noirs qui jamais ne les grise.
FRANCOIS COPPEE.
ARTHUR RIMBAUD
Etat de siиge?
Le pauvre postillon, sous le dais de fer blanc,
Chauffant une engelure йnorme sous son gant,
Suit son lourd omnibus parmi la rive gauche,
Et de son aine en flamme йcarte la sacoche.
Et, tandis que, douce ombre oщ des gendarmes sont,
L'honnкte intйrieur regarde au ciel profond
La lune se bercer parmi la verte ouate,
Malgrй l'йdit et l'heure encore dйlicate,
Et que l'omnibus rentre а l'Odйon, impur
Le dйbauchй glapit au carrefour obscur!
FRANCOIS COPPEE, ARTHUR RIMBAUD
Ressouvenir
Cette annйe oщ naquit le Prince impйrial
Me laisse un souvenir largement cordial
D'un Paris limpide ou des N d'or et de neige
Aux grilles du palais, aux gradins du manиge,
Eclatent, tricolorement enrubannйs.
Dans le remous public des grands chapeaux fanйs,
Des chauds gilets а fleurs, des vieilles redingotes,
Et des chants d'ouvriers anciens dans les gargotes,
Sur des chвles jonchйs l'Empereur marche, noir
Et propre, avec la Sainte Espagnole, le soir.
FRANCOIS COPPEE, ARTHUR RIMBAUD
L'enfant qui ramassa les balles...
L'enfant qui ramassa les balles, le Pubиre
Oщ circule le sang de l'exil et d'un Pиre
Illustre, entend germer sa vie avec l'espoir
De sa figure et de sa stature et veut voir
Des rideaux autres que ceux du Trфne et des Crиches.
Aussi son buste exquis n'aspire pas aux brиches
De l'Avenir! - il a laissй l'ancien jouet. -
O son doux rкve ф son bel Enghien*! Son oeil est
Approfondi par quelque immense solitude;
"Pauvre jeune homme, il a sans doute l'Habitude!"
FRANCOIS COPPEE.
* parce que "Enghien chez soi"
Le balai
C'est un humble balai de chiendent, trop dur
Pour une chambre ou pour la peinture d'un mur.
L'usage en est navrant et ne vaut pas qu'on rie.
Racine prise а quelque ancienne prairie,
Son crin inerte sиche: et son manche a blanchi,
Tel qu'un bois d'оle а la canicule rougi.
La cordelette semble une tresse gelйe.
J'aime de cet objet la saveur dйsolйe.
Et j'en voudrais laver tes larges bords de lait,
O Lune, oщ l'esprit de nos Soeurs mortes se plaоt.
F. C.
Exil
........
Que l'on s'intйressa souvent, mon cher Conneau!...
Plus qu'а l'oncle vainqueur, au Petit Ramponneau!...
Que tout honnкte instinct sort du Peuple dйbile!..
Hйlas! Et qui a fait mal tourner votre bile!...
Et qu'il nous sied dйjа de pousser le verrou
Au vent que les enfants nomment Bari-Barou!...
.......
Fragment d'une йpоtre en vers
de Napolйon III (1871).
Hypotyposes saturniennes, ex-Belmontet
Quel est donc ce mystиre impйnйtrable et sombre?
Pourquoi, sans projeter leur voile blanche, sombre
Tout jeune esquif royal grйй?
Renversons la douleur de nos lacrymatoires
......
L'amour veut vivre aux dйpens de sa soeur,
L'amitiй vit aux dйpens de son frиre.
...................................................
Le sceptre, qu'а peine on rйvиre,
N'est que la croix d'un grand calvaire
Sur le volcan des nations!
...................................................
Oh! l'honneur ruisselait sur ta mвle moustache.
BELMONTET
archйtype Parnassien.
Les stupras
Les anciens animaux...
Les anciens animaux saillissaient, mкme en course,
Avec des glands bardйs de sang et d'excrйment.
Nos pиres йtalaient leur membre fiиrement
Par le pli de la gaine et le grain de la bourse.
Au moyen вge pour la femelle, ange ou pource,
Il fallait un gaillard de solide grйement:
Mкme un Klйber, d'aprиs la culotte qui ment
Peut-кtre un peu, n'a pas dы manquer de ressource.
D'ailleurs l'homme au plus fier mammifиre est йgal;
L'йnormitй de leur membre а tort nous йtonne;
Mais une heure stйrile a sonnй: le cheval
Et le boeuf ont bridй leurs ardeurs, et personne
N'osera plus dresser son orgueil gйnital
Dans les bosquets ou grouille une enfance bouffonne.
Nos fesses...
Nos fesses ne sont pas les leurs. Souvent j'ai vu
Des gens dйboutonnйs derriиre quelque haie,
Et, dans ces bains sans gкne oщ l'enfance s'йgaie,
J'observais le plan et l'effet de notre cul.
Plus ferme, blкme en bien des cas, il est pourvu
De mйplats йvidents que tapisse la claie
Des poils; pour elles, c'est seulement dans la raie
Charmante que fleurit le long satin touffu.
Une ingйniositй touchante et merveilleuse
Comme l'on ne voit qu'aux anges des saints tableaux
Imite la joue oщ le sourire se creuse.
Oh! de mкme кtre nus, chercher joie et repos,
Le front tournй vers sa portion glorieuse,
Et libres tous les deux murmurer des sanglots?
Correspondance
(extraits)
A Thйodore de Banville
Charleville (Ardennes), le 24 mai 187O.
A Monsieur Thйodore de Banville.
Cher Maоtre,
Nous sommes aux mois d'amour; j'ai dix-sept ans. L'вge des espйrances et des chimиres, comme on dit, - et voici que je me suis mis, enfant touchй par le doigt de la Muse, - pardon si c'est banal, - а dire mes bonnes croyances, mes espйrances, mes sensations, toutes ces choses des poиtes - moi j'appelle cela du printemps.
Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, - et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon йditeur, - c'est que j'aime tous les poиtes, tous les bons Parnassiens, - puisque le poиte est un Parnassien, - йpris de la beautй idйale; c'est que j'aime en vous, bien naпvement, un descendant de Ronsard, un frиre de nos maоtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poиte. Voilа pourquoi, - c'est bкte, n'est-ce pas, mais enfin?
Dans deux ans, dans un an peut-кtre, n'est-ce pas, je serai а Paris. - Anch'io, messieurs du journal, je serai Parnassien! - Je ne sais ce que j'ai lа... qui veut monter... - Je jure, cher maоtre, d'adorer toujours les deux dйesses, Muse et Libertй.
Ne faites pas trop la moue en lisant ces vers... Vous me rendriez fou de joie et d'espйrance, si vous vouliez, cher Maоtre, faire faire а la piиce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens... Je viendrais а la derniиre sйrie du Parnasse: cela ferait le Credo des poиtes!... - Ambition! ф Folle!
ARTHUR RIMBAUD.
A Georges Izambard
I
29, rue de l'Abbaye-des-Prйs,
Douai (Nord).
Trиs pressй.
Charleville, 25 aoыt 1870.
Monsieur,
Vous кtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville!
Ma ville natale est supйrieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions. Parce qu'elle est а cфtй de Mйziиres, - une ville qu'on ne trouve pas, - parce qu'elle voit pйrйgriner dans ses rues deux ou trois cents de pioupious, cette benoоte population gesticule, prud'hommesquement spadassine, bien autrement que les assiйgйs de Metz et de Strasbourg! C'est effrayant, les йpiciers retraitйs qui revкtent l'uniforme! C'est йpatant comme зa a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les ventres, qui, chassepot au coeur, font du patrouillotisme aux portes de Mйziиres; ma patrie se lиve!... Moi j'aime mieux la voir assise: ne remuez pas les bottes! c'est mon principe.
Je suis dйpaysй, malade, furieux, bкte, renversй; j'espйrais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohйmienneries enfin; j'espйrais surtout des journaux, des livres... Rien! Rien! Le courrier n'envoie plus rien aux librairies; Paris se moque de nous joliment: pas un seul livre nouveau! c'est la mort! Me voilа rйduit, en fait de journaux, а l'honorable Courrier des Ardennes, - propriйtaire, gйrant, directeur, rйdacteur en chef et rйdacteur unique: A. Pouillard! Ce journal rйsume les aspirations, les voeux et les opinions de la population: ainsi jugez! c'est du propre!... On est exilй dans sa patrie!!!
Heureusement, j'ai votre chambre: - Vous vous rappelez la permission que vous m'avez donnйe. - J'ai emportй la moitiй de vos livres! J'ai pris Le Diable а Paris. Dites-moi un peu s'il y a jamais eu quelque chose de plus idiot que les dessins de Granville? - J'ai Costal l'Indien, j'ai La Robe de Nessus, deux romans intйressants. Puis, que vous dire?... J'ai lu tous vos livres, tous; il y a trois jours, je suis descendu aux Epreuves, puis aux Glaneuses, - oui! j'ai relu ce volume! - puis ce fut tout!... Plus rien; votre bibliothиque, ma derniиre planche de salut, йtait йpuisйe!... Le Don Quichotte m'apparut; hier, j'ai passй, deux heures durant, la revue des bois de Dorй: maintenant, je n'ai plus rien!
Je vous envoie ces vers; lisez cela un matin, au soleil, comme je les ai faits: vous n'кtes plus professeur, maintenant, j'espиre!...
..................................................................
Vous aviez l'air de vouloir connaоtre Louisa Siefert, quand je vous ai prкtй ses derniers vers; je viens de me procurer des parties de son premier volume de poйsies, les Rayons perdus, 4e йdition. J'ai lа une piиce trиs йmue et bort belle, Marguerite;
..................................................................
"Moi, j'йtais а l'йcart, tenant sur mes genoux
Ma petite cousine aux grands yeux bleus si doux:
C'est une ravissante enfant que Marguerite
Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite
Et son teint transparent...
....................................................................
Marguerite est trop jeune. Oh! si c'йtait ma fille,
Si j'avais une enfant, tкte blonde et gentille,
Fragile crйature en qui je revivrais,
Rose et candide avec de grands yeux indiscrets!
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupiиre
Quand je pense а l'enfant qui me rendrait si fiиre,
Et que je n'aurai pas, que je n'aurai jamais;
Car l'avenir, cruel en celui que j'aimais,
De cette enfant aussi veut que je dйsespиre...
..................................................................
Jamais on ne dira de moi: c'est une mиre!
Et jamais un enfant ne me dira: maman!
C'en est fini pour moi du cйleste roman
Que toute jeune fille а mon вge imagine...
..................................................................
Ma vie, а dix-huit ans, compte tout un passй. "
- C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone........, dans Sophocle.
J'ai les Fкtes galantes de Paul Verlaine, un joli in-12 йcu. C'est fort bizarre, trиs drфle; mais vraiment, c'est adorable. Parfois de fortes licences: ainsi,
Et la tigresse йpou - vantable d'Hyrcanie
est un vers de ce volume.
Achetez, je vous le conseille, la Bonne Chanson, un petit volume de vers du mкme poлte: зa vient de paraоtre chez Lemerre; je ne l'ai pas lu: rien n'arrive ici; mais plusieurs journaux en disent beaucoup de bien.
Au revoir, envoyez-moi une lettre de 25 pages - poste restante - et bien vite!
ARTHUR RIMBAUD
P. S. - A bientфt, des rйvйlations sur la vie que je vais mener aprиs... les vacances...
II
а Douai.
Charleville, le 2 novembre 1870.
Monsieur,
- A vous seul ceci. -
Je suis rentrй а Charleville un jour aprиs vous avoir quittй. Ma Mиre m'a reзu, et je suis lа... tout а fait oisif. Ma mиre ne me mettrait en pension qu'en janvier 71.
Eh bien, j'ai tenu ma promesse.
Je meurs, je me dйcompose dans la platitude, dans la mauvaisetй, dans la grisaille. Que voulez-vous, je m'entкte affreusement а adorer la libertй libre, et... un tas de choses que "зa fait pitiй", n'est-ce pas? Je devais repartir aujourd'hui mкme; je le pouvais: j'йtais vкtu de neuf, j'aurais vendu ma montre, et vive la libertй! - Donc je suis restй! je suis restй! - et je voudrai repartir encore bien des fois. - Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les poches, et sortons. - Mais je resterai, je resterai. Je n'ai pas promis cela! Mais je le ferai pour mйriter votre affection: vous me l'avez dit. Je la mйriterai.
Le reconnaissance que je vous ai, je ne saurais pas vous l'exprimer aujourd'hui plus que l'autre jour. Je vous la prouverai! Il s'agirait de faire quelque chose pour vous, que je mourrais pour le faire, - je vous en donne ma parole.
J'ai encore un tas de choses а dire...
Ce "sans-coeur" de
ARTHUR RIMBAUD
Guerre; pas de siиge de Mйziиres. Pour quand? On n'en parle pas. J'ai fait votre commission а M. Deverrriиre, et, s'il faut faire plus, je le ferai. - Par-ci, par lа, des francs-tirades. Abominable prurigo d'idiotisme, tel est l'esprit de la population. On en entend de belles, allez. C'est dissolvant!
III
Charleville, 13 mai 1871.
Cher Monsieur!
Vous revoilа professeur. On se doit а la Sociйtй, m'avez-vous
dit; vous faites partie des corps enseignants: vous roulez dans la bonne orniиre. - Moi aussi, je suis le principe: je me fais cyniquement entretenir; je dйterre d'anciens imbйciles de
collиge: tout ce que je puis inventer de bкte, de sale, de mauvais, en action et en parole, je le leur livre: on me paie en bocks et en filles. Stat mater dolorosa, dum pendet filius. - Je me dois а la Sociйtй, c'est juste, - et j'ai raison. - Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd'hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poйsie subjective: votre obstination а regagner le rвtelier universitaire, - pardon! - le prouve! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n'a rien fait, n'ayant voulu rien faire. Sans compter que votre poйsie subjective sera toujours horriblement fadasse. Un jour, j'espиre, - bien d'autres espиrent la mкme chose, - je verrai dans votre principe la poйsie objective, je la verrai plus sincиrement que vous ne le feriez! - Je serai un travailleur: c'est l'idйe qui me retient, quand les colиres folles me poussent vers la bataille de Paris - oщ tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous йcris! Travailler maintenant, jamais, jamais; je suis en grиve.
Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi? Je veux кtre poиte, et je travaille а me rendre voyant: vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver а l'inconnu par le dйrиglement de tous les sens. Les souffrances sont йnormes, mais il faut кtre fort, кtre nй poиte, et je me suis reconnu poиte. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire: Je pense: on devrait dire: On me pense. - Pardon du jeu de mots. -
Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout а fait!
Vous n'кtes pas Enseignant pour moi. Je vous donne ceci: est-ce de la satire, comme vous diriez? Est-ce de la poйsie? C'est de la fantaisie, toujours. - Mais, je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni - trop - de la pensйe:
LE COEUR SUPPLICIE
Mon triste coeur bave а la poupe
etc.............................
Ca ne veut pas rien dire. - REPONDEZ-MOI: chez M. Deverriиre, pour A. R.
Bonjour de coeur,
ARTHUR RIMBAUD.
A Paul Demeny, а Douai.
I
Charleville, 15 mai 1871.
J'ai rйsolu de vous donner une heure de littйrature nouvelle. Je commence de suite par un psaume d'actualitй.
CHANT DE GUERRE PARISIEN
Le Printemps est йvident, car...
etc.............................
ARTHUR RIMBAUD.
- Voici de la prose sur l'avenir de la poйsie - Toute poйsie antique aboutit а la poйsie grecque; Vie harmonieuse. - De la Grиce au mouvement romantique, - moyen-вge, - il y a des lettrйs, des versificateurs. D'Ennius а Thйroldus, de Thйroldus а Casimir Delavigne, tout est prose rimйe, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables gйnйrations idiotes: Racine est le pur, le fort, le grand. - On eыt soufflй sur des rimes, brouillй ses hйmistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignorй que le premier venu auteur d'Origines. - Aprиs Racine, le jeu moisit. Il a durй deux mille ans!
Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet que n'aurait jamais eu de colиres un jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux! d'exйcrer les ancкtres: on est chez soi et l'on a le temps.
On n'a jamais bien jugй le romantisme; qui l'aurait jugй? les critiques!! Les romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'oeuvre, c'est-а-dire la pensйe chantйe et comprise du chanteur?
Car Je est un autre. Si le cuivre s'йveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est йvident: j'assiste а l'йclosion de ma pensйe: je la regarde, je l'йcoute: je lance un coup d'archet: la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scиne.
Si les vieux imbйciles n'avaient pas trouvй du Moi que la signification fausse, nous n'aurions pas а balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini! ont accumulй les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs!
En Grиce, ai-je dit, vers et lyres rythment l'Action. Aprиs, musique et rimes sont jeux, dйlassements. L'йtude de ce passй charme les curieux: plusieurs s'йjouissent а renouveler ces antiquitйs: - c'est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jetй ses idйes, naturellement; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau: on agissait par, on en йcrivait des livres: telle allait la marche, l'homme ne se travaillant pas, n'йtant pas encore йveillй, ou pas encore dans la plйnitude du grand songe. Des fonctionnaires, des йcrivains: auteur, crйateur, poиte, cet homme n'a jamais existй!
La premiиre йtude de l'homme qui veut кtre poиte est sa propre connaissance, entiиre; il cherche son вme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dиs qu'il la sait, il doit la cultiver, cela semble simple: en tout cerveau s'accomplit un dйveloppement naturel; tant d'йgoпstes se proclament auteurs; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrиs intellectuel! - Mais il s'agit de faire l'вme monstrueuse: а l'instar des comprachicos, quoi! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu'il faut кtre voyant, se faire voyant.
Le Poиte se fait voyant par un long, immense et raisonnй dйrиglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-mкme, il йpuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture oщ il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, oщ il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprкme Savant! - Car il arrive а l'inconnu! Puisqu'il a cultivй son вme, dйjа riche, plus qu'aucun! Il arrive а l'inconnu, et quand, affolй, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues! Qu'il crиve dans son bondissement par les choses inouпes et innombrables: viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons oщ l'autre s'est affaissй!
- la suite а six minutes -
Ici, j'intercale un second psaume, hors du texte: veuillez tendre une oreille complaisante, - et tout le monde sera charmй. - J'ai l'archet en main, je commence:
Mes petites Amoureuses
Un hydrolat lacrymal lave
etc......................
A. R.
Voilа. Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire dйbourser plus de 60 c. de port, - moi pauvre effarй qui, depuis sept mois, n'ai pas tenu un seul rond de bronze! - je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamиtres, Monsieur, et ma Mort de Paris, deux cents hexamиtres! - Je reprends:
Donc le poиte est vraiment voleur de feu.
Il est chargй de l'humanitй, des animaux mкme; il devra faire sentir, palper, йcouter ses inventions; si ce qu'il rapporte de lа-bas a forme, il donne forme: si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue;
- Du reste, toute parole йtant idйe, le temps d'un langage universel viendra! il faut кtre acadйmicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient а penser sur la premiиre lettre de l'alphabet, qui pourraient vite se ruer dans la folie! -
Cette langue sera de l'вme pour l'вme, rйsumant tout, parfums, sons, couleurs de la pensйe accrochant la pensйe et tirant. Le poиte dйfinirait la quantitй d'inconnu s'йveillant en son temps dans l'вme universelle: il donnerait plus - que la formule de sa pensйe, que la notation de sa marche au Progrиs! Enormitй devenant norme, absorbйe par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrиs!
Cet avenir sera matйrialiste, vous le voyez - Toujours pleins du Nombre et de l'Harmonie, ces poиmes seront faits pour rester. - Au fond, ce serait encore un peu la Poйsie grecque. L'art йternel aurait ses fonctions; comme les poиtes sont citoyens. La Poйsie ne rythmera plus l'action; elle sera en avant.
Ces poиtes seront! Quand sera brisй l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme, jusqu'ici abominable, - lui ayant donnй son renvoi, elle sera poиte, elle aussi! La femme trouvera de l'inconnu! Ses mondes d'idйes diffйreront-ils des nфtres? - Elle trouvera des choses йtranges, insondables, repoussantes, dйlicieuses; nous les prendrons, nous les comprendrons.
En attendant, demandons aux poиtes du nouveau, - idйes et formes. Tous les habiles croiraient bientфt avoir satisfait а cette demande. - Ce n'est pas cela!
Les premiers romantiques ont йtй voyants sans trop bien s'en rendre compte: culture de leurs вmes s'est commencйe aux accidents: locomotives abandonnйes, mais brыlantes, que prennent quelque temps les rails. - Lamartine est quelquefois voyant, mais йtranglй par la forme vieille. - Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes: Les Misйrables sont un vrai poиme. J'ai Les Chвtiments sous la main; Stella donne а peu prиs la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de Lamennais, de Jйhovahs et de colonnes, vieilles йnormitйs crevйes.
Musset est quatorze fois exйcrables pour nous, gйnйrations douloureuses et prises de visions, - que sa paresse d'ange a insultйes! O! les contes et les proverbes fadasses! O les nuits! O Rolla, ф Namouna, ф la Coupe! Tout est franзais, c'est-а-dire haпssable au suprкme degrй; franзais, pas parisien! Encore une oeuvre de cet odieux gйnie qui a inspirй Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine! commentй par M. Taine! Printanier, l'esprit Musset! Charmant, son amour! En voilа, de la peinture а l'йmail, de la poйsie solide! On savourera longtemps la poйsie franзaise, mais en France. Tout garзon йpicier est en mesure de dйbobiner une apostrophe Rollaque, tout sйminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d'un carnet. A quinze ans, ces йlans de passion mettent les jeunes en rut; а seize ans, ils se contentent dйjа de les rйciter avec coeur; а dix-huit ans, а dix-sept mкme, tout collйgien qui a le moyen, fait le Rolla, йcrit un Rolla! Quelques-uns en meurent peut-кtre encore. Musset n'a rien su faire: il avait des visions derriиre la gaze des rideaux: il a fermй les yeux. Franзais, panadis, traоnй de l'estaminet au pupitre de collиge, le beau mort est mort, et, dйsormais, ne nous donnons mкme plus la peine de le rйveiller par nos abominations!
Les seconds romantiques sont trиs voyants: Th. Gautier, Lec. de Lisle, Th. de Banville. Mais inspecter l'invisible et entendre l'inouп йtant autre chose que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poиtes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vйcu dans un milieu trop artiste; et la forme si vantйe en lui est mesquine: les inventions d'inconnu rйclament des formes nouvelles.
Rompue aux formes vieilles, parmi les innocents, A. Renaud, - a fait son Folla, - L. Grandet - a fait son Rolla; - les gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, Cl. Popelin, Soulary,
L. Salles; les йcoliers, Marc, Aicard, Theuriet; les morts et les imbйciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Desessarts; les journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard; les fantaisistes, C. Mendиs; les bohиmes;
les femmes; les talents, Lйon Dierx, Sully-Prudhomme, Coppйe, - la nouvelle йcole, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mйrat et Paul Verlaine, un vrai poиte. Voilа. - Ainsi je travaille а me rendre voyant. - Et finissons par un chant pieux.
ACCROUPISSEMENTS
Bien tard, quand il se sent l'estomac йcoeurй,
...................................................................
Vous seriez exйcrable de ne pas rйpondre; vite car dans huit jours je serai а Paris, peut-кtre.
Au revoir.
A. RIMBAUD
II
Charleville, 10 juin 1871.
A M. P. DEMENY.
LES POETES DE SEPT ANS
Et la Mиre, fermant le livre du devoir,
.......................................................
A. R.
26 mai 1871.
LES PAUVRES A L'EGLISE
Parquйs entre des bancs de chкne, aux coins d'йglise
...............................................................................
A. RIMBAUD
1871
Voici, - ne vous fвchez pas, - un motif а dessins drфles: c'est une antithиse aux douces vignettes pйrennelles ou batifolent les cupidons, oщ s'essorent les coeurs panachйs de flammes, fleurs vertes, oiseaux mouillйs, promontoires de Leucade, etc... - Ces triolets, eux aussi, au reste, iront
Oщ les vignettes pйrennelles,
Oщ les doux vers.
Voici: - ne vous fвchez pas -
LE COEUR DU PITRE
Mon triste coeur bave а la poupe,
................................................
A. R.
Juin 1871.
Voilа ce que je fais.
J'ai trois priиres а vous adresser
brыlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volontй comme celle d'un mort, brыlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon sйjour а Douai: ayez la bontй de m'envoyer, s'il vous est possible et s'il vous plaоt, un exemplaire de vos Glaneuses, que je voudrais relire et qu'il m'est impossible d'acheter, ma mиre ne m'ayant gratifiй d'aucun rond de bronze depuis six mois, - pitiй! - enfin, veuillez bien me rйpondre, quoi que ce soit, pour cet envoi et pour le prйcйdent.
Je vous souhaite un bon jour, ce qui est bien bon.
Ecrivez а: M. Deverriиre, 95, sous les Allйes, pour
A. RIMBAUD
III, 15 place Saint-Jacques а Douai (Nord)
Charleville (Ardennes), 28 aoыt 1871.
Monsieur,
Vous me faites recommencer ma priиre: soit. Voici la complainte complиte. Je cherche des paroles calmes: mais ma science de l'art n'est pas bien profonde. Enfin, voici.
Situation du prйvenu: J'ai quittй depuis plus d'un an la vie ordinaire pour ce que vous savez. Enfermй sans cesse dans cette inqualifiable contrйe ardennaise, ne frйquentant pas un homme, recueilli dans un travail infвme, inepte, obstinй, mystйrieux, ne rйpondant que par le silence aux questions, aux apostrophes grossiиres et mйchantes, me montrant digne dans ma position extra-lйgale, j'ai fini par provoquer d'atroces rйsolutions d'une mиre aussi inflexible que soixante-treize administrations а casquettes de plomb.
Elle a voulu m'imposer le travail, - perpйtuel, а Charleville (Ardennes)! Une place pour tel jour, disait-elle, ou la porte. - Je refusai cette vie; sans donner mes raisons: c'eыt йtй pitoyable. Jusqu'aujourd'hui, j'ai pu tourner ces йchйances. Elle, en est venue а ceci: souhaiter sans cesse mon dйpart inconsidйrй, ma fuite! Indigent, inexpйrimentй, je finirais par entrer aux йtablissements de correction. Et, dиs ce moment, silence sur moi!
Voilа le mouchoir de dйgoыt qu'on m'a enfoncй dans la bouche. C'est bien simple.
Je ne demande rien, je demande un renseignement. Je veux travailler libre: mais а Paris que j'aime. Tenez: je suis un piйton, rien de plus; j'arrive dans la ville immense sans aucune ressource matйrielle: mais vous m'avez dit: Celui qui dйsire кtre ouvrier а quinze sous par jour s'adresse lа, fait cela, vit comme cela. Je m'adresse lа, je fais cela, je vis comme cela. Je vous ai priй d'indiquer des occupations peu absorbantes, parce que la pensйe rйclame de larges tranches de temps. Absolvant le poлte, ces balanзoires matйrielles se font aimer. Je suis а Paris: il me faut une йconomie positive! Vous ne trouvez pas cela sincиre? Moi, зa me semble si йtrange, qu'il me faille vous protester de mon sйrieux!
J'avais eu l'idйe ci-dessus: la seule qui me parыt raisonnable: je vous la rends sous d'autres termes. J'ai bonne volontй, je fais ce que je puis, je parle aussi comprйhensiblement qu'un
malheureux! Pourquoi tancer l'enfant qui, non douй de principes zoologiques, dйsirerait un oiseau а cinq ailes? On le ferait croire aux oiseaux а six queues, ou а trois becs! On lui prкterait un Buffon des familles: зa le dйleurrerait.
Donc, ignorant de quoi vous pourriez m'йcrire, je coupe les explications et continue а me fier а vos expйriences, а votre obligeance que j'ai bien bйnie, en recevant votre lettre, et je vous engage un peu а partir de mes idйes, - s'il vous plaоt...
Recevriez-vous sans trop d'ennui des йchantillons de mon travail?
A. RIMBAUD.
A Thйodore de Banville, а Paris
Charleville, Ardennes, 15 aoыt 1871.
A Monsieur Thйodore de Banville.
CE QU'ON DIT AU POETE A PROPOS DE FLEURS
I
Ainsi, toujours, vers l'azur noir...
.................................................
ALCIDE BAVA.
A. R.
14 juillet 1871.
Monsieur et cher Maоtre,
Vous rappelez-vous avoir reзu de province, en juin 1870, cent ou cent cinquante hexamиtres mythologiques intitulйs Credo in unam? Vous fыtes assez bon pour rйpondre!
C'est le mкme imbйcile qui vous envoie les vers ci-dessus, signйs Alcide Bava. - Pardon.
J'ai dix huit ans. - J'aimerai toujours les vers de Banville.
L'an passй je n'avais que dix-sept ans!
Ai-je progressй?
ALCIDE BALVA.
A. R.
Mon adresse:
M: Charles Bretagne,
Avenue de Mйziиres, а Charleville,
pour
A. RIMBAUD
A Ernest Delahaye
I
а Charleville.
Parmerde, Jumphe 72.
Mon ami,
Oui, surprenante est l'existence dans le cosmorama Arduan. La province, oщ on se nourrit de farineux et de boue, oщ l'on boit du vin du cru et de la biиre du pays, ce n'est pas ce que je regrette. Aussi tu as raison de la dйnoncer sans cesse. Mais ce lieu-ci: distillation, composition, tout йtroitesses; et l'йtй accablant: la chaleur n'est pas trиs constante, mais de voir que le beau temps est dans les intйrкts de chacun, et que chacun est un porc, je hais l'йtй, qui me tue quand il se manifeste un peu. J'ai une soif а craindre la gangrиne: les riviиres ardennaises et belges, les cavernes, voilа ce que je regrette.
Il y a bien ici un lieu de boisson que je prйfиre. Vive l'acadйmie d'Absomphe, malgrй la mauvaise volontй des garзons! C'est le plus dйlicat et le plus tremblant des habits, que l'ivresse par la vertu de cette sauge des glaciers, l'absomphe! Mais pour, aprиs, se coucher dans la merde!
Toujours mкme geinte, quoi! Ce qu'il y a de certain, c'est: merde а Perrin! Et au comptoir de l'Univers, qu'il soit en face du square ou non. Je ne maudis pas l'Univers, pourtant. - Je souhaite trиs fort que l'Ardenne soit occupйe et pressurйe de plus en plus immodйrйment. Mais tout cela est encore ordinaire.
Le sйrieux, c'est qu'il faut que tu te tourmentes beaucoup. Peut-кtre que tu aurais raison de beaucoup marcher et lire. Raison en tout cas de ne pas te confiner dans les bureaux et maisons de famille. Les abrutissements doivent s'exйcuter loin de ces lieux-lа. Je suis loin de vendre du baume, mais je crois que les habitudes n'offrent pas des consolations, aux pitoyables jours.
Maintenant, c'est la nuit que je travaince. De minuit а cinq heures du matin. Le mois passй, ma chambre, rue Monsieur-le-Prince, donnait sur un jardin du lycйe Saint-Louis. Il y avait des arbres йnormes sous ma fenкtre йtroite. A trois heures du matin, la bougie pвlit; tous les oiseaux crient а la fois dans les arbres: c'est fini. Plus de travail. Il me fallait regarder les arbres, le ciel, saisis par cette heure indicible, premiиre du matin. Je voyais les dortoirs du lycйe, absolument sourds. Et dйjа le bruit saccadй, sonore, dйlicieux des tombereaux sur les boulevards. - Je fumais ma pipe-marteau, en crachant sur les tuiles, car c'йtait une mansarde, ma chambre. A cinq heures, je descendais а l'achat de quelque pain; c'est l'heure. Les ouvriers sont en marche partout. C'est l'heure de se soыler chez les marchands de vin, pour moi. Je rentrais manger, et me couchais а sept heures du matin, quand le soleil faisait sortir les cloportes de dessous les tuiles. Le premier matin en йtй, et les soirs de dйcembre, voilа ce qui m'a ravi toujours ici.
Mais en ce moment, j'ai une chambre jolie, sur une cour sans fond, mais de trois mиtres carrйs. - La rue Victor-Cousin fait coin sur la place de la Sorbonne par le cafй du Bas-Rhin et donne sur la rue Soufflot, а l'autre extrйmitй. - Lа, je bois de l'eau toute la nuit, je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j'йtouffe. Et voilа.
Il sera certes fait droit а ta rйclamation! N'oublie pas de chier sur La Renaissance, journal littйraire et artistique, si tu le rencontres. J'ai йvitй jusqu'ici les pestes d'йmigrйs caropolmerdis. Et merde aux saisons et colrage.
Courage.
A. R.
Rue Victor-Cousin, Hфtel de Cluny.
II
а Charleville.
Laпtou (Roche) (canton d'Attigny),
Mai 73.
Cher ami, tu vois mon existence actuelle dans l'aquarelle ci-dessous.
O Nature! ф ma mиre!
(Ici un dessin. )
Quelle chierie! et quels monstres d'innocence (sic), ces paysans. Il faut le soir, faire deux lieux (sic), et plus, pour boire un peu. La mother m'a mis lа dans un triste trou.
(Autre dessin. )
Je ne sais comment en sortir: j'en sortirai pourtant. Je regrette cet atroce Charlestown, l'Univers, la Bibliothи., etc... Je travaille pourtant assez rйguliиrement; je fais de petites histoires en prose, titre gйnйral: Livre paпen, ou Livre nиgre. C'est bкte et innocent. O innocence! innocence; innocence, innoc... flйau!
Verlaine doit t'avoir donnй la malheureuse commission de parlementer avec le sieur Devin, imprimeur du Nфress. Je crois que ce Devin pourrait faire le livre de Verlaine а assez bon compte et presque proprement. (S'il n'emploie pas les caractиres emmerdйs du Nфress. Il serait capable d'en coller un clichй, une annonce!)
Je n'ai rien de plus а te dire, la contemplostate de la Nature m'absorculant tout entier. Je suis а toi, ф Nature, ф ma mиre!
Je te serre les mains, dans l'espoir d'un revoir que j'active autant que je puis.
R.
Je rouvre ma lettre. Verlaine doit t'avoir proposй un rendez-vol au dimanche 18, а Boulion. Moi je ne puis y aller. Si tu y vas, il te chargera probablement de quelques fraguemants (sic) en prose de moi ou de lui, а me retourner.
La mиre Rimb, retournera а Charlestown dans le courant de juin. C'est sыr, et je tвcherai de rester dans cette jolie ville quelque temps.
Le soleil est accablant et il gиle le matin. J'ai йtй avant-hier voir les Prussmars а Vouziers, une prйfecture de 10 000 вmes, а sept kilom. d'ici. Ca m'a ragaillardi.
Je suis abominablement gкnй. Pas un livre, pas un cabaret а portйe de moi, pas un incident dans la rue. Quelle horreur que cette campagne franзaise. Mon sort dйpend de ce livre pour lequel une demi-douzaine d'histoires atroces sont encore а inventer. Comment inventer des atrocitйs ici? Je ne t'envoie pas d'histoires, quoique j'en aie dйjа trois, зa coыte tant! Enfin voilа!
Bon revoir, tu verras зa.
RIMB.
III
а Rethel.
Charleville, 14 octobre 75.
Cher ami,
Reзu le Postcard et la lettre de V. il y a huit jours. Pour tout simplifier, j'ai dit а la Poste d'envoyer ses restantes chez moi, de sorte que tu peux йcrire ici, si encore rien aux restantes. Je ne commente pas les derniиres grossiиretйs du Loyola, et je n'ai plus d'activitй а me donner de ce cфtй-lа а prйsent, comme il paraоt que la 2e "portion" du "contingent" de la "classe 74" va-t-кtre appelйe le trois novembre suivant ou prochain: la chambrйe de nuit:
"REVE"
On a faim dans la chambrйe -
C'est vrai...
Emanations, explosions,
Un gйnie: Je suis le gruиre!
Lefebvre: Keller!
Le gйnie: Je suis le Brie!
Les soldats coupent sur leur pain:
C'est la vie!
Le gйnie - Je suis le Roquefort!
- зa s'ra no' mort!...
- Je suis le gruиre
Et le Brie... etc.
Valse
On nous a joints, Lefebvre et moi, etc.
De telles prйoccupations ne permettent que de s'y absorbиre. Cependant renvoyer obligeamment, selon les occases, les "Loyolas" qui rappliqueraient.
Un petit service: veux-tu me dire prйcisйment et concis - en quoi consiste le "bachot" иs sciences actuel, partie classique, et mathйm., etc. - tu me dirais le point de chaque partie que l'on doit atteindre: mathйm., phys., chim., etc., et alors des titres, immйdiat, (et le moyen de se procurer) des livres employйs dans ton collиge; par ex. pour ce "Bachot", а moins que зa ne change aux diverses universitйs: en tous cas, de professeurs ou d'йlиves compйtents, t'informer а ce point de vue que je te donne. Je tiens surtout а des choses prйcises, comme il s'agirait de l'achat de ces livres prochainement. Instruc. militaire et "Bachot", tu vois, me feraient deux ou trois agrйables saisons! Au diable d'ailleurs ce "gentil labeur". Seulement sois assez bon pour m'indiquer le plus mieux possible la faзon comment on s'y met.
Ici rien de rien.
J'aime а penser que le Petdeloup et les gluants pleins d'haricots patriotiques ou non ne te donnent pas plus de distraction qu'il ne t'en faut. Au moins зa ne chlingue pas la neige, comme ici.
A toi "dans la mesure de mes faibles forces".
Tu йcris:
A. RIMBAUD
31, rue Saint-Barthйlйmy
Charleville (Ardennes), va sans dire.
P. -S. La corresp. "en passepoil" arrive а ceci que le "Nйmery" avait confiй les journaux du Loyola а un agent de police pour me les porter!

Esempio